Les aigles puent de Lutz Bassmann

Les aigles puent de Lutz Bassmann

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Donatien, le 22 novembre 2010 (vilvorde, Inscrit le 14 août 2004, 81 ans)
La note : 6 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (40 969ème position).
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Cérémonie des adieux

Ecrit par Lutz Bassman (hétéronyme de Volodine) qui a choisi le « narrat » soit les écrits pour distraire les morts, selon la littérature post-exotique.

Le personnage principal ou récitant est Gordon Koum qui, revenant de mission, doit constater que des bombardements ont détruit le ghetto où vivaient sa compagne Maryma Koum et ses enfants. La ville avait flambé pendant une demi-minute et « ce temps avait suffi pour qu'elle se dissolve ».
Après avoir tenté de localiser l'entrée de leur abri parmi les ruines, Gordon Koum,qui est ventriloque, entame une conversation avec un rouge-gorge agonisant qui annonce que Maryma a brûlé avec leurs trois enfants Sariyia Koum, Ivo Koum et Gurbal Koum.

« On pourrait distraire les morts avec des histoires » déclare le golliwog :« poupée raciste des temps historiques censée représenter un nègre de music-hall avec une face corbeau et une chevelure corbeau et une chevelure grotesquement touffue. »

Le livre est divisé en narrats (18) destinés aux victimes de ces bombardements et en »cendres »(7°évoquant les états d'âmes et états physiques de Gordon Koum.

Les narrats rendent hommage à certains anciens combattants, dont Leonal Baltimore dont le travaiL salarié soit « grimper sur les toits des immeubles du ghetto et empêcher les aigles d'y faire leur nid », devait causer sa mort!
Mais ils sont surtout destinés à la compagne et aux enfants de Gordon, intitulés « Pour faire rire ….. »,comme des histoires racontées aux enfants au moment du coucher. Ce sont des textes courts mais denses.
L' auteur excelle dans l'installation d'atmosphères glauques, d'apocalypses silencieuses mais aussi d'agonies terribles mais courageuses des « Untermensch » de cette cité des exclus du système politique installé après la défaite de la grande Révolution.
J'y ai retrouvé l'efficacité du style, des incantations, le courage désespéré de ces résistants et même de petites touches d'humour tragique.

Mais je serais très curieux de découvrir cette efficacité, cet art au service d'autres mondes, d'autres climats, etc.... Vous me direz « jamais content » ! D'accord, mais à quand la construction d'un nouveau monde? Trop tard? Je ne peux pas le croire!

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Les éditions

  • Les aigles puent [Texte imprimé], roman Lutz Bassmann
    de Bassmann, Lutz
    Verdier / Chaoïd
    ISBN : 9782864326137 ; 16,23 € ; 02/09/2010 ; 150 p. ; Broché
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« Ensuite le ciel écrasa la terre. »

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 27 août 2012

Ce livre se situe sans conteste possible dans la droite ligne du précédent, « Avec les moines-soldats », le même langage, le même rythme, le même vocabulaire mais cependant une construction différente, les « entrevoûtes » ont disparu, elles laissent la place à des courts récits qui composent un texte moins structuré, plus aléatoire, où les thèmes sont plus variés. La construction est moins géométrique, la symétrie entre les « entrevoûtes » laisse la place à un texte circulaire qui se referme comme une boucle sur la fin du monde. « Ensuite le ciel écrasa la terre. Tout était noir. »

Dès les premières lignes, on retrouve l’ambiance apocalyptique qui baigne « Avec les moines-soldats », un monde se liquéfiant dans une fusion qui dépasse la puissance destructrice de la bombe atomique. Un cataclysme qui aurait pu être provoqué par une guerre froide devenue brutalement torride où l’on retrouverait des relents de la terreur nazie, la barbarie sadique des conflits balkaniques, la violence des camps du Moyen-Orient et la sophistication des armes utilisées pour distribuer des frappes supposées chirurgicales.

Dans ce monde liquéfié, Gordon Koum cherche sa famille victime d’un bombardement. Hélas, nul n’a survécu sauf un rouge-gorge qui se meurt et un pantin à qui il raconte des histoires d’avant, d’avant le cataclysme. Il raconte le monde avec ses religions, ses armées, ses soldats humanitaires, … qui ont tous contribué à la détérioration de la situation pour finir dans cet apocalypse final. On dirait qu’il décrit l’effondrement d’un espoir communiste - la notion de parti est récurrente dans le texte - qui n’aurait été qu’un rêve irréalisable. Le livre pourrait-être tout simplement l’échec du monde communiste incapable de s’imposer devant toutes les tares de l’humanité.

« … j’étais un sac comme les autres. Nous étions tous des sacs.

Hermétiques et pourvus de nombreuses ouvertures, dont certaines malodorantes, mais condamnés quoi qu’il arrive à rester hermétiquement clos. » « L’intérieur est structuré en chacun de la même manière, selon une tradition qui a commencé à s’établir quelques dizaine de millions d’années avant les grands singes et qui n’a guère été remise en cause par la suite. » « Regardez les grandes manifestations prolétariennes, … Regardez le Parti. C’est une addition de sacs, ça dépasse jamais ce niveau. Des sacs les uns à côté des autres. Mais il y a pas mélange du contenu des sacs. Et, en tout cas, pas un grand sac. »

Ce texte apocalyptique décrit l’incapacité des hommes à conduire le monde ailleurs qu’à une fin brutale. Depuis l’origine, l’homme dérive vers une issue fatale parce qu’il n’est pas capable de faire autrement. L’issue semble inéluctable. Il n’y a même pas un souffle d’espoir comme dans « Avec les moins-soldats » sauf peut-être dans le fait de pouvoir encore raconter des histoires dont le thème importe moins que la forme. Bassmann a aussi son monde littéraire avec ses constructions dont certaines sont déjà utilisées dans son livre précédent. J’ai particulièrement apprécié l’effet d’amplification provoqué par des phrases répétées en y ajoutant, à chaque répétition, un élément nouveau de façon à créer comme un tourbillon ascendant qui va s’élargissant vers le ciel emportant le lecteur sur les spires de ces phrases ressassées comme « Le Bolero » de Ravel emmène le mélomane dans son tourbillon de notes.

Epitaphes

7 étoiles

Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 9 août 2011

Il est nécessaire, lorsqu’on se plonge dans un roman de Bassmann, Volodine, Draeger ou un autre, de partir du postulat que le monde décrit par les écrivains post-exotiques existe. Dès lors que l’on accepte qu’il ne s’agit pas de science-fiction, mais que le monde qu’ils racontent dans leur livre est celui dans lequel ils évoluent, toute critique quant à leur incapacité à se transporter dans un univers différent devient hors de propos : est-ce qu’on songerait à se plaindre que Zola place constamment son action dans la France de son temps, Dostoïevski dans les rues pétersbourgeoises dans lesquelles il marche lui-même sur les pas de Raskolnikov ? Bassmann et ses frères (de prison, d’asile, d’exil, de feu) ont créé un univers cohérent. Les écrivains post-exotiques évoluent dans le monde qui est le leur, nous parlent des problèmes et des maux qui sont les leurs. Il ne faut pas y voir un artifice ou un effet de style : c’est une réalité qu’il nous faut accepter. C’est la leur et c’est peut-être la nôtre aussi, car on ne saurait manquer d’y retrouver certains aspects avec lesquels nous sommes bien familiers, telles ces ONG qui, « après chaque épandage de produit incapacitant […] effectuaient un suivi [… ,] parachutaient ou déposaient sur zone des coffres débordant de victuailles lyophilisées et de farines indigestes, tout cela accompagné de feuillets qui expliquaient en diverses langues illisibles la meilleure attitude à adopter en présence de l’ennemi, ainsi que les raisons pour lesquelles l’ennemi haïssait nos croyances, nos idoles, nos chefs historiques, nos manières de vivre, et nous aimait ». Oui, le monde des post-exotiques ressemble cruellement au nôtre : on y retrouve nos guerres, nos clivages sociaux, nos peurs, nos misères, nos bassesses et nos grandeurs… le tout semble avoir été comme accéléré, légèrement grossi, et aussi comme passé au hachoir. Toutefois, il faut s’abstenir de n’y voir qu’une projection : ce n’en est pas une. Ce monde, les post-exotiques le vivent, leurs romans sont des récits.

Pourquoi s’astreindre à faire cette petite gymnastique ? Tout simplement parce que dès lors qu’on cesse d’être ébloui par le décor et de le considérer comme l’intérêt principal du livre, on peut se concentrer sur son objet véritable et sa substance. Ici, la narration s’étale sur sept chapitres intitulés Cendres. Ils nous racontent comment Gordon Koum, rentrant d’une mission d’assassinat, trouve son ghetto dévasté par les bombes de l’ennemi. Fouillant en vain les décombres à la recherche de sa femme et de ses enfants, il entame un monologue à trois voix avec la carcasse d’un rouge-gorge recouvert d’émanations toxiques et un golliwog auxquels il prête ses voix de ventriloque. A travers eux, Gordon Koum évoque le souvenir des siens sous forme de narrats pour les accompagner dans l’au-delà, pour faire rire les enfants qui sont tombés eux aussi, et leur rendre plus douce l’arrivée dans le monde des morts.

Comme le fera remarquer rapidement le rouge-gorge, ces historiettes n’aboutissent pas : c’est que Gordon Koum ne raconte pas d’histoire, il se rappelle seulement de quelques moments isolés au sein d’histoires. Il y plane souvent un sentiment d’angoisse et de mélancolie : ses sujets sont des parias, des untermensch, des persécutés et des résistants ; ils côtoient quotidiennement les bombes et la mort. Au-delà de ce contexte particulier et propre au post-exotisme, ce livre parle principalement d’amour : l’amour qui pousse des parents plongés au cœur des flammes à continuer à raconter des contes à leurs enfants et à les embrasser ; l’amour qui pousse un homme agonisant seul au milieu des décombres à se souvenir de sa famille et de ses camarades. Gordon Koum va mourir et il le sait, mais plutôt que de contempler sa propre mort, il consacre les derniers instants de sa vie à aider comme il le peut ces morts qui lui sont chers à traverser le bardo, l’état intermédiaire qui succède à la vie dans le Livre des morts tibétain. Au-delà de la mort et du malheur, il y a chez Bassmann une humanité qu’il faut transmettre et préserver.

Toutefois, il manque quelque chose à ce livre qui jamais n’atteint les sommets d’Avec les moines soldats, où l’on semblait transmettre bien plus qu’un souvenir. Il y a une immense tendresse dans les lignes des Aigles puent, il y a de l’humour noir et cette esthétique post-exotique saisissante, mais l’action est comme trop ancrée dans la réalité post-exotique et fait fi des dimensions oniriques et post-mortem qui apportent pourtant tellement à ce courant. D’autre part, avec trois livres sortis lors de la dernière rentrée littéraire, Bassmann/Volodine/Draeger peine peut-être un peu à se renouveler et on trouve quelques procédés déjà rencontrés et qui en perdent leur saveur, telles ces phrases répétées sur un mode incantatoire et qui n’en finissent pas de grossir jusqu’à dévoiler une réalité qu’elles ne laissaient qu’entrevoir au début : le procédé est saisissant, mais sa répétition de manière trop récurrente finit par le faire ressembler à un simple exercice d’atelier d’écriture. Et puis, il faut bien le dire, Les aigles puent n’a pas la puissance d’Ecrivains qui, sans lien narratif, évoquait lui aussi le destin des écrivains post-exotiques, morts, vivants ou entre-deux, avec une force qui semble ici avoir abandonné le narrateur. Ecrivains était un programme révolutionnaire, Avec les moines soldats ouvrait des voies vers la construction d'un nouveau monde, là où Les aigles puent n’est qu’une épitaphe ; les écrivains post-exotiques, même défaits, continuaient à combattre, Gordon Koum pleure sa famille disparue et se prépare à les rejoindre. A la fin, il est déjà mort.

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