Les pouvoirs de la parole - Essais et notes II (1935-1943)
de René Daumal

critiqué par Le Bateleur, le 10 mars 2002
(Tronville - 68 ans)


La note:  étoiles
Le grand jeu continue
Les pouvoirs de la parole René Daumal Gallimard Ce livre est la seconde partie des essais et notes de l'un des cofondateurs du Grand Jeu. Ce mouvement qui a causé la colère du grand Breton lui-même (et de ses copains surréalistes) parce qu'il sentait qu'il y avait là bien plus que plaisanterie autour de la littérature. René Daumal est un prodige, à vingt ans, insatisfait des traductions existantes des grands textes hindous, il se mit à produire sa propre grammaire et restitua à de nombreux textes leur prime vigueur. Dans cet ouvrage qui contient les écrits de sa maturité (courte puisqu’il mourra à 35 ans des suites de ses expériences d'adolescent pour découvrir les limites de l’esprit humain) on peut en ouvrant une page au hasard, découvrir
- la plus grande invention non matérielle de l’homme (le zéro) appliquée non seulement au langage de mathématique comme chacun sait le faire, mais aussi au langage littéraire - de petites histoires à propos de l'éveil de la conscience - des développements encore très « modernes » à notre époque, à propos des limites de la transmission des connaissances par l’écrit (« Dans la plus grande bibliothèque du monde, il n'y a pas un atome de pensée ») -


de multiples mauvaises définitions de la poésie et une (?) bonne. - et d’autres multiples développement qui trahissent le voisinage de l’auteur avec les groupes de chercheurs de vérité de G.I Gurdjieff. La rencontre de ce livre fut un cadeau de mes dix-huit ans, depuis, dans mes retours périodiques au sein de l’univers de cet auteur hors du commun, je ne repars jamais les mains vides. Des pages essentielles pour apprendre à se méfier des paroles « ces étouffeurs de doutes » et à « recharger les mots » sur la trace de celui qui était aussi un poète. « Mais où est la poésie en tout cela, direz-vous ? La vraie, la grande, celle qui vous dresse le cheveu hérissé et la gorge sèche, qui vous divise au diamant en vos parties constituantes, et vous rassemble en même temps en une flèche droit décochée à la vitesse où tout meurt en lumière, qui poigne, oriente, embrase et voue, la vraie, la grande ? Celle-là n'est pas future, celle-là n’est pas passée, elle est ou elle n'est pas. Là où l’on parle d'elle, elle n’est pas. Dans le silence hors de tout temps où elle veille, plongeons sans esprit de retour. Beaucoup s’y noieront, quelques-uns l'en feront jaillir. » Une des dernières photographies de René Daumal le donnait à voir couché sur un lit, le menton couvert d'une barbe que ses proches ne lui connaissaient pas, faible autant qu'on peut l'être sans que la flamme ne soit soufflée, mais alors même qu'il se savait mourrant, son regard distillait cette étincelle de malice que l'on retrouve dans "Les pouvoirs de la parole".
N.B. : Attention la description un peu ronflante du verso de l'ouvrage, ne rend pas la vivacité du ton et l'humour du style. Elle laisse à penser que l'oeuvre est difficile d'accès alors que l'auteur, en conformité parfaite avec ce qu'il évoque, utilise le langage de manière à ce que le lecteur puisse facilement accéder à ses pensées, toute en l'empéchant de prendre la carte pour le territoire (il le force ainsi à se mettre "en voyage".)