Nord perdu, suivi de Douze France
de Nancy Huston

critiqué par Jules, le 6 mars 2002
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Une position pas toujours confortable
Nancy Huston nous propose ici un essai sur les langues, la culture et les nombreux problèmes posés par l’expatriation. Elle est arrivée en France en 1973 et rédige ce livre en 1998. Mais comme elle le fait remarquer, elle n'est pas née en 1973 et donc toute une partie de sa vie s’est passée ailleurs, au Canada.
C'est un autre pays, une autre culture, avec d’autres points de repères et aucun de ceux-ci n’a cours en France. Un pan entier de sa vie est donc occulté quand elle est en France, il n'intéresse personne, car personne ne peut le comprendre, le sentir. Elle a vécu plus longtemps en France que ses enfants, mais est bien moins française qu'eux et elle ne le sera jamais autant qu'eux !.
Son mari aussi est étranger, d’origine roumaine, et elle nous raconte que leurs enfants se moquent souvent de leur langage. On rit quand elle nous raconte les petits-déjeuners du matin avec les mots qui se refusent : « Passe-moi le. Tu veux la. ? » Bien sûr il nous arrive à tous de chercher un mot mais, en général, il s'agit plutôt d'un nom de personne. Elle nous explique que dans son cas il s’agit aussi très souvent d’un nom commun qui ne revient pas dans la bonne langue. Et elle s'imagine déjà ce que les dialogues entre son mari et elle deviendront dans quelques années : les mains et les doigts risqueront de travailler bien plus que la langue !
A Paris on lui demande de quelle région elle est. Chez elle, au Canada anglophone, on trouve que sa façon de parler est devenue bien « snob » avec ses intonations anglaises. Au Québec, elle n'est qu’une Parisienne. D’où est-elle ?…
Les expatriés découvrent « un certain nombre de réalités qui façonnent, le plus souvent à notre insu, la condition humaine » alors que « les impatriés peuvent se bercer toute leur vie d’une douce illusion de continuité et d’évidence. »
Elle nous explique aussi que l’expatrié communique en faisant appel à son côté enfance ou à son côté adulte, mais jamais avec les deux à la fois !
A ces problèmes-là, viennent s’ajouter des problèmes culturels qui ne pouvaient être devinés avant l’installation. Elle habitait l’Alberta ou la Nouvelle Angleterre et elle nous dit avoir mis des années à comprendre et à accepter le mode de vie méditerranéen avec son farniente, ses trains en retard, les longs apéritifs, les postes peu efficaces etc. Comme nous mettrions du temps à nous habituer à la discipline suisse ou allemande.
« Le problème, voyez-vous, c’est que les langues ne sont pas seulement des langues ; ce sont aussi des « world views », c'est à dire des façons de voir et de comprendre le monde. Il y a de l’intraduisible là-dedans… »
Un livre intéressant, qui aide à comprendre le malaise, et même la nostalgie, qui peut parfois s'emparer d'un expatrié.
une bible 10 étoiles

Ce livre est tellement personnel et à la fois tellement universel.
Ces problèmes de langues rencontrés dans les années 80 dans un monde bilingue contre monolingue sont tout à fait reproduits dans le monde actuel, même si le monolinguisme est devenu rare.

Nancy Huston se justifie sur les choix d’écriture, par exemple : pourquoi n’écrit-elle qu’au présent et pourquoi un livre précis ne peut être écrit que dans une langue, même si elle fait ses traductions après seule.

Elle parle de l’exil social, quand plus personne ne peut comprendre ce déracinement et le déraciné lui-même. L’exil géographique est calqué sur l’exil chronologique : la jeunesse=le Canada=l’anglais, la vie d’adulte=la France= le français. L’anglais canadien reste alors la langue des câlins de maman et le français celle du travail et des impôts.

Elle qui vient du Canada, communément appelé le « grand nord », perd sa langue d’origine, elle perd le nord, d’où le titre.

A offrir à tous les déracinés, ils se sentiront moins seul.

Yotoga - - - ans - 8 mai 2014