Une saison de solitude
de Zülfü Livaneli

critiqué par Débézed, le 13 octobre 2010
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
« Le mal du migrant »
Sami, réfugié politique turc en Suède, accepte que son ami écrive son histoire, son exil, les raison de son exil, mais exige de pouvoir relire le manuscrit avant la publication du livre. En relisant la prose de celui-ci, Sami constate qu’il a, en bon écrivain, ajouté certains détails, modifié certains passages pour que le livre soit accessible à tous les lecteurs et donc commercialisable. Il constate également qu’il y a un certain nombre de choses qu’il n’a pas dites, et même qu’il n’a pas pu dire, à son ami, il souhaite donc apporter quelques modifications ou précisions à la version originale de son histoire. Ainsi, après avoir apporté tous les compléments et précisions qu’il souhaitait intégrer dans le manuscrit, il constate que sa part est aussi importante que celle de l’auteur. Ils décident donc de publier un ouvrage à deux voix : celle de la vie un peu romancée d’un exilé turc en Suède et celle de cet exilé, lui-même, qui apporte sa version et ses impressions personnelles.

Dans ce roman à deux voix Sami, réfugié politique, essaie de s’intégrer en Suède en apprenant la langue pour trouver un emploi et pouvoir construire une nouvelle vie mais il est victime de malaises que les médecins prennent pour de l’hypocondrie. Il finit tout de même par se faire hospitaliser et dans l’établissement où il est soigné, il rencontre un ancien ministre turc, en fin de vie, connu pour sa cruauté, à qui il a eu affaire quand il était encore au pays. Alors, sa vie bascule et les questions se bousculent dans son esprit, la vengeance devient possible, est-elle nécessaire ? Il en parle avec ses amis activistes en exil qui se divisent sur la question. Progressivement les relations entre la victime et le tortionnaire s’organisent, s’intensifient, s’étoffent, la compassion s’installe, le pardon serait-il possible ?

Ce livre original décrit, évidemment, le statut et les conditions de vie des réfugiés politiques, quelles que soient leurs origines, la difficulté qu’ils ont à se faire accepter, l’impossibilité d’oublier le pays qui les a meurtris mais aussi façonnés, les problèmes quasi insolubles pour construire un avenir possible avec une famille. Mais, il voudrait surtout nous proposer une réflexion sur la vengeance en remontant l’histoire de Sami jusqu’au moment où son sort a basculé, et en cheminant jusqu’au jour où le hasard a réuni ces deux êtres que tout oppose, dans les mêmes affres de l’exil, là où la compassion peut faire comprendre et accepter plus facilement un possible pardon. « … La nostalgie peut-elle se montrer plus forte que la haine ? Le sentiment d’appartenance peut-il se révéler supérieur à la haine ? Peut-on oublier la haine ? » A quoi peut servir la vengeance ? La vengeance calmera-t-elle les séquelles de la torture qui altèrent la frontière entre le réel et l’imaginaire, qui bouscule la perception entre ce qui n’est qu’hallucination et phobie et ce qui est souvenir et mémoire. Pourra-t-elle passer par delà la frontière qui sépare le dit du non dit, ce qu’on peut dire de ce qu’on ne peut pas dire, et permettre à Sami de raconter son histoire pour construire son avenir ?

Avec son chat Sami pourra sans doute dépasser tout ce qu’il a subi, peut-être comprendre que la culpabilité peut aussi être affaire de circonstance et que la victime ne saura jamais ce qu’elle aurait fait à la place du tortionnaire. Mais ceci est une autre histoire … « Tu étais gibier ou chasseur. Chat ou lapin. Assassin ou victime. » Ainsi en a décidé le sort et peut-être aussi ceux qui ont pris le pouvoir.