Les Vaincus
de Xavier Benguerel

critiqué par Camarata, le 8 octobre 2010
( - 72 ans)


La note:  étoiles
Adieu, République Espagnole
Un livre instructif et éclairant sur l’exode des républicains espagnols, écrit beaucoup plus tard, par Xavier BENGUEREL, écrivain catalan qui a vécu cette tragédie de l’exil, né en 1905 et mort en 1990.
Cela ressemble à une chronique quotidienne sur l’exil brutal de tout un peuple, cependant la cohérence de la construction narrative, la progression de l’intensité émotionnelle désigne ce livre comme un roman-témoignage d’une immense valeur. En février 1939 les armées de Franco tel un occupant intérieur, ont presque totalement écrasé la légitime république Espagnole, chassant les républicains qui fuient leur pays en cohortes misérables pour se réfugier en France.
Le récit débute à Barcelone dans l’inquiétude générale de l’avancée de Franco et dans la terreur des bombardements qui pleuvent sur la ville. Joan Pineda écrivain poète se décide à fuir en laissant le reste de sa famille qui ne peut pas le suivre. Joan est un civil qui n’a pas combattu dans les armés républicaines à cause d’un ulcère au duodénum, il a été en quelque sorte préservé de l’horreur du combat, ainsi qu’une partie de ses amis écrivains. Joan va jusqu’a Gérone en camion, à figuères il retrouve des amis écrivains, avec lesquels il franchit la frontière franco-espagnole à pieds, cette fuite est difficile, dangereuse sous les bombardements mais elle demeure supportable. Ils arrivent en France dans le village de ILLE où ils sont priés par la maréchaussée de poursuivre, de continuer vers Boulou. Plus ils avancent et plus les autorités les poussent à aller ailleurs. Dans leur fuite incessante, ils s’agglomèrent à la masse des républicains, repoussés eux aussi comme des indésirables, de village en village.
Au cruel sentiment de défaite, s’ajoute l’amère désillusion d’être rejetés et méprisés par un pays qu’ils admiraient. A force d’être repoussés, dirigés par les militaires dont beaucoup sont sénégalais, ils débarquent sur l’immense plage de Saint-Cyprien. L’environnement change de nature et de dimension, des milliers d’espagnols s’entassent dans le froid vif de févier, sur cette plage de sable au bord de la mer balayée par le vent gelé, avec le sable pour matelas et pour latrine la mer.
Des bataillons de spahis à cheval les surveillent avec un mépris et une cruauté toute coloniale. Durant trois mois Joan Pineda et ses amis vont tenter de survivre dans ce qui est un camp de concentration et de privations. Rien n’est organisé par les autorités pour permettre la vie ou éviter la mort, au bout de trois jours des pompes d’eau saumâtre sont installées qui provoquent de terribles dysenteries et beaucoup de morts parmi des êtres affamés et transis de froid. Des distributions de pain sont instaurées où on leur jette les morceaux d’un camion comme à des animaux, la foule proteste, les spahis de l’armée d’Afrique, du haut de leur chevaux chargent la foule , sabre au clair et tuent un jeune homme. Comme un rituel macabre, les camions amènent le pain le matin et ramènent les morts le soir, les quelques baraques qui sont érigées sont réservées aux officiers.
Les barbelés sont rapidement installés et il est totalement interdit de fuir. Lorsque quelques jeunes font une tentative pour s’échapper, ils sont repris et traînés entièrement nus dans des trous creusés dans le sable ou seules leurs têtes dépassent, pour l’exemple. Le lendemain quand on les sort l’un d'eux est mort, les autres ne valent guère mieux.

Dans cet espace confiné entre les barbelés et la mer, la faim, le froid,la maladie, le désoeuvrement, l’humiliation, le mépris, le poète tente de survivre malgré les morts innombrables que ces conditions inhumaines engendrent, malgré le désespoir.
Au cours de ce désastre, Joan rencontre des hommes compréhensifs, comme ce soldat qui le voyant marcher pieds nus lui jette de précieuses bottes, ou le gendarme Gustave qui lui offre un café et ne le remet pas aux autorités quand totalement dépersonnalisé par ce traitement privatif et carcéral, il sort du camp illégalement, dans un état halluciné, pour retrouver le monde des vivants, pour embrasser le tronc d’un micocoulier et s’asseoir sur un muret au soleil dans la jolie petite cour du café du village. « Je ne suis pas de ceux qui font l’amour en vitesse, moi c’est plutôt comme si c’était chaque fois la première, pour peu qu’elles s’y prêtent. C’était pareil avec cette cour : il s’agissait d’y aller doucement, de considérer la valeur d’une fourche, d’une botte d’herbes, de quelques épis, et du puits qui te regarde avec son œil d’eau immobile. »
La question de la culpabilité du vaincu taraude ces intellectuels, bien sûr on n’a jamais entendu parler d’un vainqueur qui se sentirait coupable.
Il apparaît à plusieurs reprises dans le récit une énorme différence de traitement entre les élites politiques et le peuple.
Le sentiment de perte d’identité induit par cet exil forcé traverse constamment le récit, accentué par les conditions épouvantables dans lesquelles ils sont retenus. On les enferme, on les garde et on les laisse pourrir dans la faim, le froid, la saleté, ils ne se sentent plus des hommes à peine des animaux. Le style est précis, incisif, clair et même parfois poétique, les relations entre les cinq amis, les réflexions du héros permettent de ressentir la dureté physique et morale de leur condition de détention dans le camp et le désespoir de la défaite et de l’exil.
Il est intéressant de constater que les armées coloniales d’Afrique du nord sont utilisées par Franco en Espagne pour anéantir les républicains et en France pour les surveiller et les réprimer. On est est bien loin du romantisme facile sur la guerre d’Espagne.