Zigzag
de Olive Senior

critiqué par Germain, le 25 septembre 2010
( - 73 ans)


La note:  étoiles
Fabuleux zigzags !
Attention, cette collection de nouvelles pourrait dangereusement changer votre vie ! Car l’univers d’Olive Senior ne se limite pas à nous faire découvrir la Jamaïque, une île belle et rebelle, à la fois terre du calypso et de la secte des rastafaris. Cette traqueuse de vérité décrit aussi la condition humaine en témoignant d’une éblouissante subtilité. Composées dans le langage des humbles, avec d'incessants recours au créole, ces petites histoires de vie se dégustent comme un verre de punch. On y évoque tour à tour le guérisseur local – un étonnant Maginoir -, l'éducation des filles, les illusions et les déconvenues, les espoirs risibles : un amant parti, une enfant faisant du souci, une robe capable de changer la vie... On y parle de l’amour et de ses dangers, quand le tumulte envahit le cœur des filles… et des gars : « si elle le regardait, il la lirait comme un livre ». On y rencontre la vieille et solitaire Miss Evadney dépensant une énergie indomptable pour préserver le seul amour de sa vie : un pied de christophine qui, hélas, dépérira du fait des mauvaises gens. Au-delà de pages richement parsemées de recettes de vie, on y découvre comment les rapports humains se tissent. Non, à l'évidence, « la vie n’est pas aussi facile à boire qu’un bol de toloman » ; à moins de « laisser jaillir sa présence » comme ce formidable Tonton, jugé « fou » en Angleterre. Il révélera un jour la douloureuse vérité à Fifi : « Ils ont défiguré ma personne et lui ont fait subir des indignités. Ils m’ont ôté le cœur et l’ont remplacé par un organe mécanique. Et tu sais pourquoi, Fifi ? (…) Parce que ces gens ne comprennent que les machines (…) Ils veulent tous nous transformer en machines. De telle sorte qu’ils peuvent nous utiliser comme il leur plaît et personne ne peut dire la moindre chose parce que nous ne sommes plus humains… » Christine Raguet, la traductrice, a puisé dans la langue des départements d'outre-mer. Elle a inventé des mots exquis, multicolores, dont elle a jalonné ses textes : tifi, manman, bois-cabri pour le dos, maginoir, quimbois, seigné, mafi, ti-manmaille ou… tout-à-faitement. On savoure littéralement ces belles trouvailles linguistiques… et l’époustouflante lucidité de ses paroles si vraies et si poétiques. Une indéniable réussite.