Les jeux de la nuit
de Jim Harrison

critiqué par Jules, le 12 septembre 2010
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Une merveille !...
La quatrième page de couverture nous annonce des nouvelles aussi puissantes que celles de « Légendes d’automne » La première et la dernière de ce volume étaient basées sur une haine terrible et une volonté de vengeance totale.

Ici aussi ce sont la première et la dernière qui, pour moi, dominent l’ensemble.

Sarah Anitra Holcomb nous est directement décrite comme une jeune fille aussi dure pour elle-même que pour les autres. Elle a également compris que « Une certaine solitude faisait partie des criantes vérités de la vie »

A l’âge de neuf ans ses parents partent s’installer dans le Montana où son père a acheté une certaine quantité de terre sur lesquelles il va cultiver des légumes et les vendre au marché. L’affaire tourne bien mais la mère de Sarah va quitter son père pour un autre homme. Cela ne la dérange pas surtout qu’elle s’est fait un grand ami d’un vieux monsieur au nom de Tim. Ce sont ses terres que le père a acheté. Sarah grandit et devient une petite femme. Elle se fait deux grandes amies et un ami à l’école. Tous les trois se sont déjà adonnés aux plaisirs du sexe alors que Sarah n’entend pas les choses comme cela. Cela aurait plutôt tendance à la dégoûter. Mais bien vite elle est belle, bien faite, grande et attire la convoitise des garçons, jeunes ou moins jeunes.

Une nuit qu’elle n’était pas consciente un jeune homme circulant de ville en ville va profiter d’elle. Elle se réveillera, toujours vierge, mais avec des paquets de poils de son sexe arrachés.
Quant à une de ses copines qui l’accompagnait elle aura été sodomisée…

Sarah, de plus en plus proche de Tim malgré le cancer qui ronge celui-ci, ne pensera plus qu’à aller tuer celui qui a fait cela. Elle sait où il vit.

Un désir de vengeance donc mais qui n’a vraiment pas l’intensité de ceux dont j’ai parlé plus haut.

Sarah est un personnage particulièrement sympathique et l’écriture d’Harrison coule toujours avec la même facilité et le même charme.

J’ai moins aimé la nouvelle centrale qui remet en scène Chien Brun avec tous ses soucis. Tout d’abord pour le lecteur qui ne connaît pas CB Harrison doit nous raconter à nouveau une partie de son histoire. La provenance de ses soucis reste la même et tourne autour de quatre choses :
- Son énorme obsession du sexe
- Le fait qu’il est responsable de Baie, une petite fille mentalement perturbée.
- Son amour fou pour Gretchen, jeune femme qui l’aide à se défendre sur le plan administratif. Son corps l’obsède ainsi que son envie de la posséder. Mais elle est homosexuelle et ne veut pas en entendre parler !
- Son refus de toute civilisation, sa passion pour la pêche à la truite et la vie dans la nature en général.
Bref, un personnage qui ne manque pas de charme et qui nous est bien connu.





La troisième nouvelle est, selon moi, la meilleure parce que de loin la plus profonde.
Elle n’a rien à voir avec la vengeance par ailleurs. Son titre est « Les jeux de la nuit »
Je considère que ce qui est dit à propos de cette nouvelle sur la quatrième de couverture laisse supposer une histoire différente de celle écrite.

Le héros de celle-ci s’appelle Samuel et déclare d’emblée que ses parents sont des universitaires ratés. La mère est spécialiste en littérature classique et le père en ornithologie. Celui-ci ne vit que pour cela et ne s’occupe de rien d’autre mais il ne perce pas.des points de vue de la botanique ou de la géologie »
« La nature accidentelle de leur rencontre et donc de mon arrivée sur terre m’a toujours ravi »
« J’ai toujours trouvé utile, à tout moment, de savoir qui je suis sans parler de l’endroit ou je me trouve, géométriquement, historiquement. »


Samuel va les suivre dans leurs déménagements constants et cela le fera pas mal voyager. Lui aussi est torturé par le sexe. Une jeune voisine, Emelia, va lui permettre de faire ses premiers jeux sexuels. Il en est profondément amoureux mais ils seront séparés par de nouveaux déménagements. Il ne la retrouvera que vingt ans plus tard !

En attendant, il va au Mexique avec son père accompagné de plusieurs autres ornithologues dont certains accompagnés de leur femme. Parmi elle il y a Laurel. Samuel va d’abord être piqué par le bec d’un oiseau suivi d’une inflammation. Son père ne s’occupe de rien et ce sera Laurel qui se rendra chez des médecins avec lui. Quelques jours plus tard il sera mordu au cou par un louveteau. Là, la blessure sera beaucoup plus grave et il en gardera une terrible maladie et une certaine odeur de chien. Malgré qu’elle s’est promis de n’avoir aucun contact sexuel avec Samuel qui n’a que douze ans, elle le laisse à deux reprises jouer avec ses seins. Puis arrive une nuit qui sera littéralement torride. Elle sera suivie par d’autres et cela pendant des années.

Un peu plus âgé, Samuel va beaucoup voyager : Mexique, Paris, Bourgogne, Morvan, Florence, Milan, Bologne, Séville, Cordoue, Madrid, Grenade et Barcelone… Il lira aussi énormément, même Ovide et Virgile, et voudra connaître l’histoire des pays où il passera.

Pour moi c’est une des plus belles nouvelles de Jim Harrison, la plus profonde, celle qui compte le plus de phrases prenantes ou intéressantes.

J’adore littéralement ce style de Jim Harrison qui raconte à merveille, qui passe parfois d’un sujet à un autre et nous offre soudain une phrase d’une grande profondeur.

Une nouvelle à ne pas rater
Les grandes immensités de l'âme humaine... 8 étoiles

Ce qu’’il y a d’extraordinaire avec Jim Harrison c’est sa capacité à nous dresser en quelques mots le portrait d’un personnage, son histoire et le milieu ambiant dans lequel il évolue. Avec ces trois nouvelles il s’agit de nous montrer des êtres humains aux prises avec leurs destinées, faisant face à eux-mêmes malgré les vicissitudes de la vie. Rien n’est jamais simple et dans les livres de Jim Harrison encore moins, pourtant il laisse toujours entrouverte la porte d’un espoir aussi ténue soit-il.

Ce recueil, pour n’être pas le meilleur d’Harrison, ne nous en apporte pourtant pas moins que d’habitude, sauf peut-être ce petit souffle magique qui fait ses grands livres, le fil qui nous conduit au plus près de l’essence même de ses héros. Néanmoins il parvient à nous émerveiller devant cette nature pure et grandiose et nous oblige à regarder dans le miroir que sont les personnages afin d’y voir notre propre reflet et bien sûr le sien. Peu d’auteurs peuvent se prévaloir d’emmener son lecteur avec lui tout au long de ses mots et de le laisser, lecture faite, avec un creux au cœur et une boule dans l’estomac et ceci tout au long de sa carrière. Je me pose à chaque fois la question de savoir comment je vais passer le temps qui me sépare d’une autre de ces lectures, loin du monde d’Harrison point de salut ?

Spirit - Ploudaniel/BRETAGNE - 63 ans - 4 avril 2012


3 nouvelles 8 étoiles

Trois grosses nouvelles dans ce recueil de Jim Harrison.
Dans « Chien Brun, le retour », il est explicite que réapparait une vieille connaissance ; le déjanté Chien Brun, qu’on retrouve où on l’avait laissé, en exil côté canadien de la frontière, avec toujours les mêmes obsessions (le sexe principalement, la fuite de toute société humaine), les mêmes problèmes (Baie, la petite fille mentalement attardée dont il essaie de s’occuper). C’est donc une suite (ça finira peut-être en un roman « Chien Brun » ?). C’est bizarre mais j’imagine physiquement Chien Brun à l’image de Jim Harrison ; corpulent, la mine taciturne … Bon, manifestement Chien Brun ne présente pas les mêmes dispositions que Jim Harrison pour écrire ! Une curiosité néanmoins ; Chien Brun accède à un de ses fantasmes absolus, réussir à avoir une relation sexuelle avec Gretchen. Et c’est un cas de force majeure !

« Brusquement, elle prit sa décision. Elle se débarrassa de son short et de sa petite culotte, puis lui tourna le dos, cambra les reins et pensa avec mélancolie que tous les mammifères concevaient ainsi leurs bébés. Quant à C.B., il se dit aussitôt que c’était le meilleur moment de sa vie. Il se mit au boulot avec une énergie pleine d’affection. Ensuite, ils somnolèrent un peu, après quoi il ouvrit les pans de la tente et étudia la situation. »

Dans « La fille du fermier », celle qui m’a le plus touché, l’histoire est totalement originale et aurait certainement pu constituer la chair d’un roman … Il s’agit d’une sordide affaire comme cela arrive dans la vie, d’une fille encore innocente qui se retrouve un jour face à un prédateur et dont la vie bascule alors. Elle n’aura plus de cesse que de se venger et il est vrai que l’espace américain et les lois très particulières sur les armes à feu là-bas ouvrent un champ plus vaste qu’en Europe pour se venger. Et elle ne pense qu’à ça …
La dernière m’a paru plus étrange. Pas mal différente de ce que nous propose couramment Jim Harrison puisqu’il s’agit d’un de garçon mordu dans des circonstances particulières par un louveteau et atteint de lycanthropie (loup-garou si vous préférez). C’est la nouvelle éponyme, OK, mais peu de rapport avec les deux autres. On a l’impression qu’il l’a traitée dans le cadre d’une nouvelle parce qu’elle présentait de gros caractères invraisemblables qu’il aurait été plus délicat de développer dans un roman ?

« J’installai le louveteau contre mon cou et nous partîmes sur le sentier, mais une centaine de mètres plus loin la foudre tomba sur un grand pin tout proche. Le vacarme fut assourdissant et la cime de l’arbre s’enflamma. Mes jambes furent comme paralysées, je tombai durement sur les fesses et le louveteau enfonça ses dents dans la chair tendre de mon cou. Je hurlai. Nestor essaya d’écarter le louveteau qui refusait de lâcher prise et la main puissante du Mexicain finit par briser la nuque de l’animal. Nestor fourra le louveteau mort dans son sac en disant qu’il allait falloir déterminer si cet animal avait la rabia, c’est-à-dire la rage. »

Tistou - - 67 ans - 5 septembre 2011


3 nouvelles ou trop longues, ou trop courtes..... 8 étoiles

J’ai lu avec plaisir et intérêt les 3 nouvelles, j’y ai retrouvé l’écriture précise, claire, fluide de Jim Harrisson, son talent de raconteur d’histoires, les thèmes récurrents dans toute son œuvre et qui conférent l’unité au recueil : le monde amérindien , la nature du Montana comme refuge et consolation, mais je n’ai pas ressenti le choc que m’avaient apporté ses romans .

C’est sûrement en raison de la longueur de chaque histoire; à la fois trop diluée, trop longue pour une nouvelle, et trop brève pour un roman car les ingrédients de chaque intrigue n’y ont pas trouvé, à mon goût, l’espace suffisant pour s’épanouir .

Alma - - - ans - 17 juillet 2011


Tout un univers ! A découvrir ! 7 étoiles

La première critique nous donnant pas mal d'information sur les nouvelles (et elle le fait très bien), je ne vous donnerai que mes impressions!
Une très nette préférence pour la première nouvelle qui m'a littéralement transportée ! Un vrai bonheur de lecture ! On rentre bien dans la psychologie des personnages, dans l'ambiance de cette atmosphère américaine, dans ce Montana grandiose ! Une large partie est dédiée aux grands espaces ; assez bien rendu je pense.
On s'attache aux personnages ; c'est indéniable même à certains moment, cela m'a semblé un peu long ... mais cela se lit quand même très bien.
Quand j'ai lu la deuxième nouvelle, j'ai de suite reconnu le titre de la chanson «The last word in lonesome is me» de Patsy Cline qui en fait est présente dans les trois nouvelles. Un petit conseil : mettez-le en fond pendant que vous lisez les passages qui correspondent : un vrai délice indescriptible qui vous transporte dans un autre temps et sur une autre planète !
voilà, bonne lecture !

Mandarine - - 52 ans - 19 février 2011


Trois petits bijoux merveilleux 9 étoiles

Inutile de raconter à nouveau les trois sujets abordés par Jim Harrison dans ce nouveau recueil. Je les ai appréciés tous les trois et peut-être davantage le troisième, un fantasme "classique" du loup-garou souvent abordé dans les films ou la littérature.

Ce qui me paraît le plus remarquable chez l'auteur, c'est sa puissance d'évocation : quelques lignes sur un des nombreux personnages, et le lecteur est lui-même invité à se plonger dans ses propres souvenirs. Peu importent les invraisemblances et les excès, on pardonne tout et on se laisse emporter et séduire par ce "monstre sacré" qu'est devenu Jim Harrison. Les fréquentes évocations de la littérature ancienne ou contemporaine permettent de respirer au cours de la lecture qu'on ne saurait lâcher une fois la première page avalée. Il y a, peut-être, un peu de Céline dans ces récits ?

Tanneguy - Paris - 84 ans - 26 janvier 2011