L'accent de ma mère de Michel Ragon

L'accent de ma mère de Michel Ragon

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par CC.RIDER, le 22 août 2010 (Inscrit le 31 octobre 2005, 65 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 718ème position).
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Une terre martyre

Fils d'un militaire de la Coloniale, Michel Ragon passa son enfance en Vendée à Fontenay le Comte et sa jeunesse à Nantes auprès de sa mère, humble femme du peuple paysan de l'ouest avant de partir tenter sa chance à Paris. Partant du personnel et de l'anecdotique, il en vient assez vite aux drames de la Vendée, souvent cantonnés à un des épisode des révoltes chouannes alors que le pays subit guerres de religion, implantation huguenote, révocation de l'Edit de Nantes, dragonnades, émigration en Acadie, déportation en Louisiane (« le grand Chambardement ») et bien sûr le monstrueux génocide qui débuta en 1793.
Ragon propose une explication des causes bien différente des versions habituelles, renvoyant dos à dos les habituelles thèses royalistes ou républicaines. La révolte vendéenne ne fut au départ qu'une jacquerie de plus, totalement paysanne et prolétarienne donc ni religieuse, ni royaliste. Les bourgeois n'y prirent pas part et y furent même complètement hostiles. Les nobliaux se firent tirer l'oreille pour en prendre la tête. De plus, elle ne concerna qu'une partie du territoire vendéen, celui qui fut le plus ardemment protestant et qui était quasiment déchristianisé à l'époque. Aucune ville, aucun hiérarque catholique, excepté les prêtres réfractaires, aucun noble de haute lignée n'y adhéra. (Ils étaient même plus nombreux à encadrer l'armée bleue) Quant aux émigrés, jamais ils n'aidèrent le mouvement, bien au contraire. Le futur Louis XVIII ne leva pas le petit doigt alors qu'il aurait suffi que l'armée royale fasse sa jonction à Granville où l'attendaient pas moins de 80 000 hommes pour balayer Robespierre et son régime. « Si profitant de leurs étonnants succès, Charrette et Cathelineau eussent réuni leurs forces pour marcher sur la Capitale, c'en était fait de la République ; rien n'eût arrêté la marche triomphale des armées royales. Le drapeau blanc eût flotté sur Notre-Dame... » écrira Napoléon Ier. En réalité, royalistes et révolutionnaires se méfiaient terriblement de ce peuple insurgé contre toute forme d'oppression.
Se révoltèrent-ils pour échapper à la conscription ? Ragon rejette également cette thèse car la Vendée fournira toujours un des plus gros contingent de soldats à la République et s'illustrera pendant les deux guerres mondiales (Tranchée des baïonnettes, Résistance). Alors pourquoi ces va-nu-pieds prirent-ils les armes et se lancèrent-ils dans cette aventure désespérée, dans cette révolution dans la révolution ? Pour Ragon, ils furent vite déçus par la tournure que prit le nouveau régime qui se mit à augmenter les impôts, à réduire les libertés et en particulier celle de culte et surtout à favoriser leurs ennemis de toujours : les bourgeois qui profitèrent de la vente des biens de l'Eglise pour accaparer les terres et pressurer un peu plus les paysans. Le résultat en fut les longues années de massacre et de politique de terre brulée (Colonnes infernales de Tureau, Noyades de Carrier à Nantes, massacre avec tortures de femmes et d'enfants aux Lucs et sur tout le territoire). Au total autant de victimes et de dégâts que pendant la Guerre de Sécession ou pendant la guerre civile en Espagne. Excusez du peu. Et un silence aussi honteux qu'étourdissant de tous ceux qui ont voix au chapitre à travers les siècles. Une révolution qui étrangle, brûle, étripe, liquide plus révolutionnaire qu'elle, c'est impossible, impensable, inimaginable !
Et pourtant l'horreur vendéenne portait en germe tant de génocides, d'ethnocides ou d'épurations ethniques : des koulaks aux Ukrainiens et aux Polonais sous Staline, sans oublier les Irlandais, les Arméniens en 1915, les Juifs par les nazis de 33 à 45 et plus près de nous, les Cambodgiens sous Pol Pot, les Biafrais, les Rwandais et tant d'autres...
Bravo à Michel Ragon pour avoir si magistralement traité ce difficile sujet (ce livre est une véritable somme, avec documents, annexes, déjà un véritable classique sur la question) et à cette merveilleuse collection « Terre Humaine » qui permet au plus grand nombre d'appréhender l'ethnologie historique ou contemporaine et faire découvrir tant de figures étonnantes ou touchantes comme Anta, Toinou, Sylvère et comme cette maman vendéenne de Michel Ragon.

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9 étoiles

Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 58 ans) - 26 septembre 2023

Michel Ragon revient sur son adolescence à Nantes après quelques années d'une enfance heureuse à Fontenay-le-Comte auprès de sa grand-mère.
Une adolescence auprès d'une mère à l'accent trainant de l'Ouest. Un accent paysan qui fait la voix grasse, comme imprégnée de terre humide. Une autre langue, une autre culture, une identité culturelle, celle de sa tribu. Le patois, langue de la quotidienneté vulgaire.
Une mère condamnée à un veuvage prématuré, à la solitude hautaine.
Une mère timide, réservée, pensive, qui vit sa vie comme une longue attente.
L'attente des visites de son fils qui a rejoint Paris, son ennui , ses maladies.
Mais également une mère qui dévore les romans de Pierre Loti, échange de longues lettres avec ses ex- employeurs et son fils.
Une mère qui aime le "Moderne", signe de réussite sociale.

J'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce roman qui fait le lien avec celui de sa petite enfance en Vendée auprès de sa grand-mère adorée ("Un rossignol chantait")
Une ode à la Vendée, "mangée par l'eau du ciel et l'eau de la mer".
Un récit autobiographique qui aborde les figures locales (Rabelais, .... ), les guerres de Vendée, l'immigration au Canada et la fondation de l'Acadie.
Un excellent moment de lecture régionale !

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