Jésuites, tome 1 : Les Conquérants
de Jean Lacouture

critiqué par Saule, le 29 juillet 2010
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
Les Jésuites : une histoire passionnante.
La compagnie de Jésus, ordre religieux connu sous le vocable "les jésuites", est créée par Ignace de Loyola et reconnue par le pape Paul III en 1540. Après une histoire passionnante et mouvementée, l'ordre est dissous en 1773 par le pape Clément XIV : l'église devait être bien malade pour supprimer un ordre qui avait justement comme vœu principal l'obéissance au pape ! Heureusement la compagnie sera réhabilitée plus tard. Cette monumentale "multibiographie" comporte deux tomes. Le premier tome, intitulé "Les conquérants", couvre les deux siècles et demi, de la création au début du XVIème jusqu'à la dissolution par le pape, une dissolution commanditée par les puissances européennes pour des raisons politiques.

Ce livre, bien qu'imposant (le premier tome fait cinq cent pages), se lit comme un roman. On ne s'ennuie pas une seconde et je rends hommage à l'auteur qui est un biographe accompli : sous sa plume, chaque fait historique prend l'allure d'un récit. Le rythme est enlevé, le plaisir d'apprendre l'histoire se confond avec le plaisir de lire. Il faut dire que c'est un sujet en or, car cette histoire est passionnante, parsemée de personnages admirables. Autre aspect admirable de ce livre, c'est que, même si comme je le suppose Lacouture a un a-priori favorable pour les jésuites, ça ne l'empêche pas d'argumenter et d'exposer les deux côtés de l'affaire dans les nombreuses polémiques et attaques qui eurent la compagnie pour cible.

L'intérêt théologique n'est pas en reste : on apprend beaucoup sur les jésuites, et sur les questions spirituelles de l'époque également : le jansénisme et son opposition au concept de libre arbitre tel que prôné par les jésuites. La réforme, le concile de Trente ou les théologiens jésuites s'illustrent, la contre-réforme. Le probabilisme et la casuistique, spécialité des jésuites, dont Bossuet disait "Mettre un coussin sous les coudes de pécheurs" ! On voit que souvent les jésuites étaient en avance sur leur temps, et on sait que ce n'est pas toujours bon d'avoir raison trop tôt.

Les chapitres les plus intéressants sont ceux consacrés aux missions des jésuites. François-Xavier en Inde d'abord, et plus tard au Japon. François-Xavier va évoluer au contact de la civilisation raffinée du Japon, et il imposera ce qui sera la marque de fabrique des jésuites : le respect des autres cultures, l'ouverture et l'inculturation (adapter le christianisme aux coutumes locales). Le personnage le plus célèbre est Mattéo Ricci, qui pénètre en Chine, et qui parviendra jusqu'au palais royal. Des jésuites réussiront très bien également au Vietnam, ils sont devenus célèbres pour avoir transcris le Vietnamien en caractère alphabétique. A propos de l'inculturation, Lacouture n'élude pas les questions importantes. Même si on aime Ricci pour son esprit d'ouverture, et même si l'intérêt scientifique énorme de sa mission est évident, d'un point de vue théologique il reste la question si sa tentative de rapprocher le christianisme et le confucianisme n'était pas illusoire.

Le sommet du livre, c'est le récit des missions au Paraguay. Les fameuses "réductions" Guarani. Il s'agit de l'établissement de communautés d'indiens de type théocratiques égalitaires. Une sorte d'utopie, du colonialisme, certes mais qui a permis à des millions d'indiens d'échapper à l'esclavagisme et au pillage sauvage organisé par les Portugais en Amérique du Sud. Certains diront maintenant que si les jésuites ont sauvés les indiens d'un génocide, c'était au prix d'un "ethnocide". N'empêche que tant d'abnégation, de courage face au martyre, ça force le respect. Cet épisode est, je me répète, absolument passionnant. Il y a un film avec Tom Cruise qui relate cela ("Missions").

Il ne s'agit pas ici de résumer ce gros livre de cinq cent pages, qui nous fait voyager en Espagne, à Rome, en France, en Asie et en Amérique du Sud et qui nous fait côtoyer tout les grands noms de cette époque, à commencer par les humanistes tel Erasme et Michel-Ange, Luther et Calvin, les têtes couronnées et leur amantes, des papes, parfois des dissolus qui font la honte de l'Église, des intellectuels hors-pair qui se sont livrés à des joutes féroces : ainsi, les attaques pleines de verve mais aussi de mauvaise foi du janséniste Pascal contre les Jésuites. Mais attention, les jésuites n'étaient pas en reste : il y a eu des théologiens et des intellectuels jésuites absolument brillants, qui ont marqué l'histoire de la pensée, et c'est un grand plaisir de les découvrir grâce à ce livre.

Je me contenterai de dire que cet ouvrage est absolument indispensable pour l'amateur d'histoire et de religion. Vivement le deuxième tome.
Une fantastique page d'Histoire 10 étoiles

Convaincu par la critique enthousiaste de Saule, je le suis lancé dans cette brique de 500 pages bien tassées et je me suis passionné de bout en bout. Cette histoire des Jésuites est fantastique.

Jean Lacouture nous raconte d'abord la vie épique du fondateur, Ignace de Loyola, puis les aventures extraordinaires de ses successeurs, missionnaires aux Indes, au Japon, en Chine, en Cochinchine, au Vietnam... Puis en Amérique du Sud où ils ont réalisé un mélange de monastère et d'utopie à la Thomas More. C'est une épopée religieuse et sociale unique au monde et, faut-il le dire, absolument passionnante.

Mais l'auteur nous raconte encore les incroyables querelles entre les Jésuites français, les Jansénistes entraînés par Pascal, et le pouvoir royal où manœuvraient les Pompadour et autres courtisans littéralement déchaînés par les passions religieuses. On ne peut imaginer à quel point les Jésuites ont bouleversé l'Histoire de France à partir du XVIème siècle, mais aussi d'Espagne, du Portugal, d’Italie et du Vatican, sans parler de l'Allemagne où Luther menait sa Réforme.

Quoique Jean Lacouture soit toujours en tous points d'une objectivité absolue, on sent qu'il tient les Jésuites en haute estime. Il faut dire que ce corps d'élite a toujours eu une longueur d'avance sur les idées de leur temps. Faut-il le rappeler, le Pape actuel, que d'aucuns qualifient de « révolutionnaire », est un Jésuite.

A peine remis de ma lecture de ce premier tome que je me suis lancé dans le second, une autre brique de 500 pages, qui semble moins épique, mais tout aussi passionnant.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 12 janvier 2017