Les voyageurs du temps
de Philippe Sollers

critiqué par S_dryade, le 23 juin 2010
(Lille - 35 ans)


La note:  étoiles
Angles d'attaque.
Livre atypique pour lecteur néophyte. La quatrième de couverture annonce déjà le ton: voltige de mots.

"Je me concentre sur le mot "mot". Je le vois là-bas, dans la ligne de mire. Il respire un peu, il grandit, c'est lui que je vise, que je veux toucher et trouer. MOT. Avec une lettre de plus, c'est MORT. En anglais, ça ferait WORD et WORLD. Je tire sur la mort, je tire sur le monde."

Un livre où les mots sont partie intégrante de l’histoire, plus qu’au service de l’intrigue. S'il est noté roman, il s’agit plus de chroniques. Tout se tisse pourtant autour du tir. Deux cent quarante pages pour faire mouche. Des pages qui en valent mille. Qui avalent le Temps et le régurgitent sous vos yeux ébahis. Après digestion, vous recevez une mixture improbable que vous auriez envie d’avaler à votre tour. Vous pourriez dire que c’est de la merde, mais les meilleurs fruits poussent dans le fumier. Plusieurs angles. « On veille à occuper plusieurs endroits à la fois, quatre si possible, de façon à changer de position sans changer de cible. »
Sollers mégalo? Vous êtes pourtant invité à son bureau dès les premières lignes. Il le dit lui-même d’ailleurs, qu’il jette ses lignes. A vous de les saisir à pleine bouche et de vous laisser remonter le long du Temps. Si vous accrochez, vous êtes projeté en plein Paris, boulevard Raspail. Qui est cet homme ? Qu’y a-t-il entre ce boulevard et les éditions Gallimard ? Des secrets perdus, mais à peine. Des secrets à gratter qui vous rendraient plus riche qu’un simple jeu de morpion. Vous êtes une Bête, ou vous grattez vos Parasites, ou ils vous grignotent.
Les appâts changent et ne se ressemblent pas. Rimbaud, Lautréamont, T.H.Lawrence, Hölderlin, Maître Eckhart et je ne fais que frôler le foisonnement d’écrivains présents. Il en va de tout temps, de tout voyage. Poésie, philosophie, stratégie, géographie, tant qu’il y a des lignes et des mots, la pêche est bonne. Certains passages sont moins vifs que d’autres, mais cela est très certainement dû à l'ignorance sur l’auteur mis en avant. Et pourtant, pas de culpabilité, c’est un livre de curiosités. Et même si, effectivement, des paragraphes sont inconnus, il y a toujours une citation pour vous mettre l’eau à la bouche, et l’envie au bout des doigts, d’aller tourner d’autres pages.
Sollers est un voyageur du Temps. Il côtoie les grands du monde, ses lignes remontent le temps. Est-il toujours vivant? Il n’écrit pas des faits, mais les rend vivant, comme si le temps, finalement, était toujours là, capable de s’ouvrir dans le présent. La pensine de Dumbledore. Les citations, il est possible de les retourner, de les cibler sous différents angles. Pas de contradiction insurmontable.
Les mots chantent, parfois à voix basse, parfois dans de sacrées envolées et voici ma préférée, celle qui résume parfaitement le livre, et le rend irréductible :

"Raisonnez mais n’oubliez pas de résonner, sans quoi votre raisonnement sonnera creux un jour ou l’autre. L’entendement est à ce prix."