Le secret
de Anna Enquist

critiqué par Saint-Germain-des-Prés, le 7 février 2002
(Liernu - 56 ans)


La note:  étoiles
Un piano comme langage
Que voilà un livre agréable, où alternent bulles de silence et crescendo musical…
Dora est pianiste et vit à travers son instrument.
Enfin, « vivait ».
Car, maintenant âgée, ses doigts la font souffrir et ne courent désormais plus sur le clavier.
Sa carrière est brisée.
Pourtant, Dora achète un piano et le livre s’ouvre sur l'installation de celui-ci dans sa nouvelle maison.
Le chapitre suivant nous ramène des années en arrière, au moment de la naissance de Dora.
Le livre va et vient d'une époque à l’autre et nous suivons l’itinéraire de Dora : la naissance de son petit frère trisomique ; son admiration pour son professeur de piano, juif, et qui disparaît pendant la guerre ; ses rapports tendus avec son père ; son regard critique sur sa mère ; son premier amour ; son dernier amour ; .
la vie, quoi…
Sauf que le personnage principal du livre est le lien entre Dora et son piano.
Toute son énergie y passe.
Peu bavarde dans la vie, la voilà intarissable lorsqu'elle joue.
Ce livre est traduit du néerlandais mais n’en a pas souffert.
Le style d'Anna Enquist coule, il n’y a pas de rupture, le lecteur n'a aucune difficulté à se laisser porter par la mélodie.
Beaucoup de douceur et de retenue, même si l'on sent que l'orage n'est jamais loin.
« Personne ne me manque, je joue » 8 étoiles

On déménage un piano car, même si la dame, plus très jeune, ne peut plus en jouer, elle a besoin de cet instrument chez elle pour se souvenir du temps où elle était une pianiste renommée et qu’elle parcourait le monde pour faire entendre son talent. Percluse de rhumatismes, Dora Dirique met un terme à sa carrière, elle est née en 1933, en Hollande, a connu la souffrance et les affres de la guerre, la douleur d’avoir un frère lourdement handicapé et celle tout aussi aiguë de voir son professeur de piano partir dans une colonne encadrée par des soldats allemands.

Mais son talent l’éloigne de tout, la ramène toujours à la musique où elle finit par triompher mais à quel prix. Elle a délaissé un peu trop sa famille, son frère surtout, elle n’a pas consacré le temps nécessaire à ses amis, ses amants, son mari, elle n’a pas d’enfants, elle ne s’est pas construit une vie, un lieu pour abriter cette vie. Elle a erré au service de la musique, de son art, de sa passion de sa raison de vivre, égocentriquement. Elle n’est que quand elle joue. « Elle doit jouer, elle doit jouer partout, elle doit faire entendre ses sons qu’elle a dans la tête. C’est la seule chose qu’elle sache faire, la seule qu’elle maîtrise. Il le faut. »

Ce livre soulève de nombreuses questions mais il tourne principalement autour du problème du talent et de l’exploitation qu’il faut en faire, du prix qu’exige une carrière, une renommée, la satisfaction d’une passion. Il pose ainsi clairement la question de la place de l’art dans la vie, dans la société. Mais plus au fond encore, Anna Enquist, nous interpelle, involontairement peut-être, sur tout ce qui conditionne notre vie et qui échappe à notre volonté : le talent, tellement présent chez elle et tellement absent chez son frère ; la naissance dans une famille musicienne ; l’argent suffisant pour payer les études musicales ; la destinée, les rencontres au bon moment, mais aussi l’histoire qu’elle traverse dans la douleur mais dont elle ressort encore plus forte.

Et, à la fin quand le rideau est tombé une dernière fois, la liberté, la fin des obligations, l’oubli du trac et des tensions en tout genre mais le début des douleurs physiques, l’approche de la dernière échéance mais peut-être que cette nouvelle disponibilité permettra de construire ce qui n’a pas été.

Un livre construit comme un puzzle qu’il faut bâtir pour assembler les morceaux de cette vie d’errance artistique où le secret promis n’est, à mon sens, qu’une anecdote de plus dans la destinée de cette pianiste virtuose. Un livre un peu amer où les difficultés et les douleurs ne sont pas cachées mais dites avec beaucoup de pudeur, plutôt suggérées, même, avec une certaine tendresse, presque de l’amour pour ce personnage plein de sa passion. Peut-être aussi une pointe d’envie car si l’auteur n’est pas pianiste, il connait bien la musique, peut-être trop même, tant il sait expliquer tous les arcanes de la technique. Une pianiste aurait peut-être plus parlé de ses sensations et de ses émotions que de ses préoccupations techniques.

Débézed - Besançon - 76 ans - 24 novembre 2010


tout en nuance 8 étoiles

Voila un livre tout en fluidité, rempli de non-dits que l'on découvre lentement, tout au long de l'histoire. La sensibilité est présente en permanence, le style est pur, sans fioriture. Certaines personnes trouveront le livre froid, à l'instar de cette pianiste qui ne peut exprimer ses sentiments qu'à travers les notes d'une partition. Pourtant, tout y est : l'amour, la complexité de la vie, les vides, les blessures, l'intensité.

J'en lirais volontiers d'autres du même auteur.

Fée clochette - Bruxelles - 70 ans - 12 février 2006


le style 9 étoiles

c'est lui qui m'a happée
l'histoire, oui, très touchante
mais quelle écriture
et des fins de phrase à vous laisser un vide sans tricherie
je l'ai lu au cours d'un long voyage en train
je l'ai passé à la personne, inconnue, qui l'était et qui l'est restée, qui voyageait à côté de moi, sans plus de paroles

Leonie - strasbourg - 61 ans - 23 février 2005


l'autiste du piano 8 étoiles

Anna Enquist, Le secret, Actes Sud. 2742734317 L'autiste du piano.

Deux étapes pour l'incipit : la livraison d'un piano à queue, la naissance de Dora Dirique. Troisième étape : un docteur lit dans les informations musicales la parution de l'intégrale des interprétations de Dora Dirique, son ex-épouse. On va donc remonter le temps, à petits sauts de mouton, mais le jeu est grave, et assister à la vie d'une femme marquée par son enfance, et chez qui la seule valeur fut le jeu pianistique.
Au départ, on se méprend sur le secret, car dans sa famille comme dans ses pensées, Dora reste silencieuse. Pourtant, que d'étonnements en elle-même ! Seules ses interprétations expriment ce qu'elle ressent, car elle communique peu avec autrui. Artiste, presqu'autiste.
La romancière néerlandaise Anna Enquist - psychanalyste, nous plonge dans un univers familial réfrigérant, à une période critique, où la musique constitue pour la jeune fille un espace de liberté - ou d'enfermement, mais aussi d'interrogations avec et sur elle-même. D'un ton très sobre sont évoqués les rapports entre les musiciens, la place chez l'interprète de la sensibilité et de la technique, la clarté ou prétendue telle des choix d'interprétations. Aucun lyrisme, mais un style dépouillé, presque froid, pour suivre l'itinéraire musical et affectif de Dora.

Rotko - Avrillé - 50 ans - 7 juin 2003