Au présage de la mienne
de Jeanne Hyvrard

critiqué par Calepin, le 14 juin 2010
(Québec - 42 ans)


La note:  étoiles
À chaque jour suffit sa mort
4e de couverture : Jour après jour, événement après événement, le quotidien se délite. Au présage de la mienne, trace le récit des morts successives, petites et grandes, attachées l’une à l’autre, contre lesquelles il faut sans cesse lutter pour éviter la dislocation. L’auteure n’y parviendra qu’après le 366e jour. C’est parce qu’elle nomme la forme du monde, fût-il tout autre, que la littérature triomphe de la désarticulation.

Mon avis : Officiellement un récit, j'ai l'impression qu'il n'en est un que par le formule utilisée parce qu'autrement, pour moi, c'est davantage une quête poétique de chaque instant. L'auteure est à la recherche d'un « Je » autant au travers d'un monde qui change, se mondialise, s'informatise, que dans son propre processus de vieillissement. Dès le début, j'ai aimé le concept. Qu'à chaque jour, par le biais d'un geste, d'une parole, d'une pensée, quelque chose meure :

« La mort aujourd'hui, ce sont ces professeurs aux visages fermés. Le malheur de leurs élèves ne les émeut pas. Ils ont des gueules de patron chilien. » [P.28]

Où certaines critiques sociales font leur place :

« La mort aujourd'hui, c'est la compréhension que l'ONU défend les puits de pétrole et non les gens. » [P.35]
« La mort aujourd'hui, c'est à l'hôpital, le consentement à être un cobaye soumis et résigné. » [P.19]

Mais surtout, la place laissée à la douleur, l'incompréhension, que ce soit la sienne ou celle des autres :

« La mort aujourd'hui, c'est mon géniteur qui ne veut pas aller faire quelques pas dehors, parce que c'est trop loin. » [P.12]
« La mort aujourd'hui, c'est la hantise de la rue et l'impossibilité d'y affronter l'époque. L'obsession des mendiants. Ils occupent peu à peu tout l'espace. Si je les laissais faire, ils coloniseraient le texte. L'homogénéité ne peut pas faire livre. » [P.26]
« La mort aujourd'hui, c'est le jour de mon anniversaire la prise de conscience brutale du peu de temps qu'il me reste. J'étais, je suis, je serai. Toutes les conjugaisons ont-elles la même valeur selon les âges ? » [P.35]

Beaucoup de ces pensées m'ont porté à réfléchir sur la vie en général, de vivre certains événements au travers de ses écrits. Malheureusement, plusieurs passages parlent de sa douleur physique suite à une blessure ou sa douleur psychologique ce qui finit par devenir lassant. Ce genre de passages qui sonnent misérabilistes, auto-flagellants. À la fermeture du livre, c'est cette désagréable impression qui me restait en tête. C'est dommage, car l'idée était bonne, les réflexions poétiques superbes, mais le tout manque d'un équilibre dans le dosage. Si vous tentez la lecture, passez un peu vite sur certains passages et vous en retiendrez une lecture bien plus enrichissante.

Et pour finir cette critique, un petit bijou : « Pas de mort aujourd'hui, la Plus Chère a éclaté en larmes au présage de la mienne. » [P.48]