Le cygne noir
de Robert Sabatier

critiqué par Hibou, le 11 juin 2010
( - 49 ans)


La note:  étoiles
problème philosophique
« Ce pauvre garçon ce qu’il est laid » ainsi commence le livre. « Elle sa mère » pronom personnel accolé du possessif marque inéluctablement la distance de cette femme lointaine et proche à la fois puisqu’elle est sa génitrice. Cette mère, star de cinéma ne vit que dans les paillettes et les strass à l’envers de son fils qu’elle s’évertue à cacher durant toute son enfance. Son père reste auréolé du plus profond mystère. Il ne l’a jamais connu. Un jour, cet inventeur de jeux, amateur de hautbois décide de jouer contre les fées qui lui ont jeté ce mauvais sort ; il veut en savoir un peu plus sur son origine. Il s’introduit dans les appartements de sa mère et déniche un calepin avec un terme choc « délivrée » le jour fatidique de sa naissance. Un nom et un lieu qui reviennent les jours précédents. Ces deux mots magiques vont être à la source d’une formidable aventure. Ce voyageur immobile qui traverse en imagination le lac Léman sur lequel donne la fenêtre de sa chambre va partir à la recherche de ses origines. Après un détour par l’Italie elles le conduiront tout droit en France. Il retrouvera ce fameux homme qui finalement s’avérera ne pas être celui auquel il croit, nouera avec le vieux couple une profonde amitié, rencontrera celle qui deviendra sa femme et de retour à la Villa sera totalement transformé.

J’ai adoré cette histoire. Elle est superbement écrite. Quand le narrateur indique à sa mère qu’il a rencontré l’homme du fameux calepin, sa mère va avoir la fameuse expression : le hasard fait bien les choses. Or cette expression n’est pas anodine. Car elle participe de la magie même du roman. Celui-ci noue formidablement le réel et l’imaginaire. D’un coté il se lit à la manière d’une enquête policière. Le narrateur se déguise en détective. Le je du narrateur s’implique dans cette histoire comme si la recherche de la paternité le faisait advenir comme sujet. La mère au contraire est alors présentée comme extérieure à cette histoire. Elle qui avait évincé le père, semble être évincée à son tour de cette mystérieuse histoire comme par le retour du refoulé. Ce qui permet à son fils de prendre son destin en main puisqu’il ne se trouve plus sous l’emprise malfaisante de cette mère. De l’autre côté cette enquête policière n’est pas aussi sérieuse qu’elle en a l’air et se présente comme un jeu où le hasard a toute sa place, ou même le hasard fait précisément advenir le jeu. On est frappé par les difficultés de la recherche qui demande toute la stratégie de ce champion d’échec et la facilité de certains dénouements : Ainsi il reconnait le plus naturellement du monde l’homme mystérieux au bord d’une route, et celui-ci a l’idée géniale de l’inviter à venir chez lui sans même se douter de quoi que ce soit. Ce roman est magnifique. Je dirais que c’est presque un roman philosophique : la vie est un jeu, il y a toujours de la distance entre les pensées qui veulent régenter le monde et les évènements qui tiennent du pur hasard. Le cygne noir… Si on joue nous aussi de cette distance on peut alors changer le monde tout en préservant la magie et le merveilleux de celui-ci. Superbe romance qui fait appel à notre humanité la plus profonde.