Débris de tuer (Rwanda, 1994)
de Matthieu Gosztola

critiqué par Bovemma, le 29 mai 2010
( - 36 ans)


La note:  étoiles
Un recueil sur l'ineffable
Matthieu Gosztola tâche dans ce recueil de rendre compte de l'inexprimable : les cris et les silences des victimes Tutsis du génocide rwandais ayant eu lieu en 1994.

Mais peut-on écrire un recueil de poèmes sur un sujet à ce point horrifique ? On songe en effet à la parole d'Adorno comme quoi il n'est pas permis d'écrire des poèmes après Auschwitz. A cette question, Matthieu Gosztola répond sur le site de Florence Trocmé Poezibao :http://poezibao.typepad.com/poezibao/2010/…...

Le travail de Matthieu Gosztola est salué par Antoine Emaz sur ce même site : http://poezibao.typepad.com/poezibao/2010/…

Le Magazine des livres n° 24 (mai / juin 2010, p. 75), sous la plume de Gwen Garnier-Duguy, explique le projet de Matthieu Gosztola :

"L’action poétique de Matthieu Gosztola en son livre Débris de tuer est incontestable. Comment oser un poème de 90 pages sur un sujet aussi inconcevable que le génocide du Rwanda ? Sujet inconcevable car le Rwanda, justement, n’est pas un sujet. C’est un génocide, une série abominable de massacres, de tortures, d’ignominies humaines, une barbarie vécue par les Tutsi et les Hutu. Or, une barbarie, on la subit ou on la fait subir. On la vit. Mais on ne la prend pas pour sujet de contemplation extérieur.
Plus de 15 ans après le dernier grand génocide de l’épouvantable XXème siècle, Matthieu Gosztola, hanté par la souffrance issue des images et des récits de l’époque, a osé, non pas s’approprier littérairement cette épouvante historique, mais concevoir l’inconcevable souffrance devenue, à ce stade, ontologique. La travailler au corps. Et comme le corps du poète est constitué du Verbe et que ce que l’on fait au Verbe, c’est à notre propre corps que nous le faisons, Matthieu Gosztola a légitimement ressenti dans la chair du langage les mutilations infligées à coups de machettes à ces africains de l’Est saignés jusqu’au martyr.
A la suite d’un Paul Celan reconstruisant une langue en dedans même du génocide des juifs et y cherchant la voie d’un chant praticable, à la suite d’un Michel Host épouvanté par la déflagration d’Hiroshima et s’évertuant à dire ce que l’esprit ne peut décemment concevoir, Matthieu Gosztola déplie sous nos yeux décillés la carte d’un Verbe violemment démembré, y cherchant les traces d’un vivier humain de l’au-delà de la souffrance, d’un chant donnant accès à la compréhension. Le titre suffit à asseoir le projet de Gosztola : Débris de tuer. La déstructuration grammaticale alliée aux choix des mots débris et tuer dit clairement la seule volonté de ne pas se dérober devant le spectacle horrifique mais simplement de cartographier mentalement les décombres de chair et d’os afin de clarifier la conscience.
Gosztola poète agit ici comme Isis parti à la recherche des membres dispersés de son époux fraternel Osiris. Aux quatre coins du monde, la déesse quête les morceaux d’un corps disséminé afin de lui rendre sa divine unité. Le corps du Rwanda fut, aux portes du XXI ème siècle, celui de l’humain tout entier, présageant de mutilations futures dont le poète n’a que trop conscience, et se prolongeant au corps physique de la Terre elle-même. Mais le dieu, ici, se nomme horreur, et c’est bien lui qu’il faut tacher de balbutier intelligiblement pour accepter de croire pleinement ce que nous savons parfaitement sur le fond lamentable de l’homme.
Gosztola, debout au milieu du charnier verbal, entend les saignements intérieurs qui montent depuis la terre rwandaise jusqu’à l’homme tout entier, il recueille dans sa bouche le souffle de l’agonie, faisant ainsi de sa gorge un passeur ; il incorpore à sa voix silencieuse la somme des derniers souffles expirés pour la génération d’une sémantique par delà le désastre."

Je ne sais si Matthieu Gosztola est parvenu à aller au bout de son projet. C'est à chacun de se faire une opinion.