Pourquoi la guerre ? de Albert Einstein, Sigmund Freud

Pourquoi la guerre ? de Albert Einstein, Sigmund Freud
( Warum Krieg ?)

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances , Sciences humaines et exactes => Psychologie , Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Dirlandaise, le 22 mai 2010 (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 68 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 105ème position).
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Cette paix qui fait tant rêver l'humanité souffrante

Ce fascicule est composé de deux lettres : la première signée Albert Einstein, datée du 30 juillet 1932 et adressée à Sigmund Freud est une interrogation sur le pourquoi de la guerre et surtout sur la possibilité de l’existence d’un moyen visant à affranchir les hommes de la menace de la guerre. Einstein va plus loin dans son interrogation en faisant part de son étonnement devant le fait que la masse se laisse si facilement enflammer jusqu’à la folie et au sacrifice par un petit groupe de dirigeants qui contrôle l’école, la presse et les organisations religieuses. Le grand physicien demande au psychanalyste s’il n’existerait pas une façon de diriger le développement psychique de l’homme afin de le rendre mieux armé contre les psychoses de haine et de destruction.

La réponse de Freud est évidemment d’une brillante intelligence et surtout d’une liberté d’esprit et de pensée qui fait plaisir à lire. Mais cela ne me surprend nullement de la part du grand psychologue et psychanalyste qu’était Freud et que j’ai toujours grandement apprécié lui dont les livres m’ont accompagnée pendant une bonne partie de mon existence. Freud n’est pas un démagogue, sa réponse ne va pas toujours dans le sens attendu par le contexte dans lequel cet échange épistolaire a été initié. Il en est conscient car il avoue ne pas espérer recevoir le prix Nobel de la paix suite à cette lettre. Il va même jusqu’à demander à Einstein de lui pardonner si son exposé l’a déçu à la toute fin de son texte.

Pour donner une idée du contexte dans lequel cet échange épistolaire s’est tenu, il a été suscité par l’Institut International de Coopération Intellectuelle, une émanation de la Société des Nations fondée en 1926 à Paris dont le but était de renforcer la collaboration dans le domaine intellectuel et de former un esprit international en faveur de la paix qui consoliderait l’action de la SDN.

Il est intéressant de comparer le style littéraire des deux hommes. J’avoue préférer nettement celui de Freud qui possédait un talent d’écrivain certain. Dans la préface, un historique très intéressant sur la relation personnel entre les deux célébrités donne une bonne idée de l’incompréhension flagrante qui régnait entre les deux brillants scientifiques. Freud avoue ne rien comprendre à la théorie de la relativité alors qu’Einstein trouve exagéré les travaux de Freud. De plus, Freud envie la chance d’Einstein alors que lui a été dans l'obligation de se faire un chemin tout seul parmi les broussailles. Enfin, les deux hommes ne se détestent pas mais leur relation est davantage basée sur la politesse que sur une profonde amitié.

Un livre qui se lit en une heure à peine ou moins et qui jette un éclairage assez troublant sur la nature humaine et surtout, sur les chances de paix universelle qui font tant rêver l’humanité souffrante.

« Il n’est peut-être pas toujours utile de fouiller dans l’inconscient. Nos jambes sont contrôlées par une centaine de muscles différents. Vous croyez que d’analyser nos jambes, de connaître la fonction de chaque muscle et de savoir dans quel ordre ils entrent en action nous aiderait à marcher ? La contribution de Freud à la science du comportement humain est d’une valeur immense, mais je n’accepte pas toutes ses conclusions. Je le considère encore plus grand comme écrivain que comme psychologue. On n’avait pas écrit dans un style aussi brillant depuis Schopenhauer. »

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Des interrogations sur la guerre et des réponses non dépourvues d'ambiguité

8 étoiles

Critique de Eric Eliès (, Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans) - 1 juillet 2017

Dans les années 30, Albert Einstein, qui fut aussi un ardent pacifiste en plus d’être un physicien génial, proposa à la SDN (Société des Nations), qui cherchait à promouvoir la fraternité et la coopération intellectuelle entre les peuples, une correspondance croisée avec Sigmund Freud sur la problématique de la paix et de la guerre. A la lettre d’Einstein, assez courte, Freud répondit par une lettre plus développée et argumentée mais aussi bien plus ambiguë.

Ce petit livre présente, précédée d’une longue préface intéressante sur les relations complexes entre Einstein et Freud (mélange d’admiration, de jalousie et d’incompréhension), ces deux lettres qui, clairement, n’apportent pas une réponse satisfaisante à la question posée. Sur le sujet de l’origine de la violence et des raisons de guerre, Gaston Bouthoul, dans ses essais de polémologie, et Roger Caillois, notamment dans son essai « Bellone ou la pente de la guerre », me semblent avoir cerné avec bien plus d’acuité et de profondeur les causes des déchaînements de violence qui embrasent les foules et submergent les digues diplomatiques.

Dans sa lettre, Einstein se contente de poser les grandes questions et de proposer quelques réponses laconiques, en pointant principalement du doigt l’impuissance du droit international dépourvu de pouvoir coercitif et la manipulation des foules par les classes dirigeantes qui privilégient leurs intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général. Il évoque également, en sollicitant l’avis de Freud, la probable existence, au sein de la psyché humaine, d’un instinct de violence, qui explique le consentement des foules aux discours belliqueux, en s’interrogeant sur les moyens de le juguler…

Freud répond en louant poliment la perspicacité d’Einstein et complète brièvement ses arguments, en soulignant notamment l’imbrication de la force et du droit. Pour Freud, les normes de droit résultent de l’association des êtres faibles qui, dans la horde primitive, se sont ligués contre les êtres forts pour les dominer. Le droit ne s’oppose pas à la force : il concrétise la force collective d’une communauté pour lui permettre de dominer la force individuelle. Freud développe ensuite bien plus longuement sa théorie des principes opposés : le principe de plaisir contre la pulsion de violence. Les arguments de Freud sont plus complexes que ceux d’Einstein car Freud ne condamne pas la pulsion de violence, qui apparaît comme un principe nécessaire à la vie. En fait, tous nos actes sont régis par l’équilibre entre ces deux principes et c’est leur déséquilibre qui provoque des effets néfastes. Freud se montre pessimiste sur l’avenir de l’humanité et, d’une manière qui n’est pas signalée dans la préface, élitiste voire eugéniste. Pour Freud, la masse n’est pas capable de réguler ses pulsions et l’urgence est, selon lui, de permettre l’émergence d’hommes d’élite capables de gouverner par la raison. Or l’émergence des élites est menacée par la démographie des êtres les plus frustres.

Il y aurait lieu que l’on devrait s’employer, mieux qu’on ne l’a fait jusqu’ici, à former une catégorie supérieure de penseurs indépendants, d’hommes inaccessibles à l’intimidation et adonnés à la recherche du vrai, qui assumeraient la direction des masses dépourvues d’initiative. L’Etat idéal résiderait naturellement dans une communauté d’hommes ayant assujetti leur vie instinctive à la dictature de la raison.
(…)
Peut-être [le phénomène du développement de la culture (= civilisation)] conduit-il à l’extinction du genre humain car il nuit par plus d’un côté à la fonction sexuelle, et actuellement déjà les races incultes et les couches arriérées de la population s’accroissent dans de plus fortes proportions que les catégories raffinées.

Freud anticipe les conclusions de Konrad Lorenz, qui a d’ailleurs peut-être été influencé par Freud, sur le processus civilisationnel qu’il assimile à de l’auto-domestication qui modifie la psychologie des individus en réprimant l’expression normale de leurs instincts. La civilisation et l’essor de la culture donnent le primat à la raison et étouffent le comportement instinctif. Ainsi, le pacifisme est une sorte de répression raisonnée de l’instinct de violence. Mais Freud souligne aussi que le processus civilisationnel force à intérioriser les pulsions de violence, qui tendent alors à se retourner contre l’individu comme une sorte de pulsion suicidaire.

Au nombre des caractères psychologiques de la culture, il est en deux qui apparaissent comme les plus importants : l’affermissement de l’intellect, qui tend à maîtriser la vie instinctive, et la réversion intérieure du penchant agressif, avec toutes ses conséquences favorables et dangereuses (…) tandis que l’application de ces forces instinctives à la destruction dans le monde extérieur soulage l’être vivant et doit avoir une action bienfaisante. Cela peut servir d’excuse biologique à tous les penchants haïssables et dangereux contre lesquels nous luttons.

La conclusion de Freud est étonnante et partiellement contradictoire : comme s’il avait peur d’afficher les déductions logiques de sa pensée, qui sont que la guerre est sans doute un exutoire nécessaire à une pulsion de violence inhérente à la nature humaine, il affirme que le processus civilisationnel doit être accéléré pour favoriser la consolidation des mouvements pacifistes puis s’excuse auprès d’Einstein, et donc de ses lecteurs, de n’être pas aussi positif que souhaité !

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