Toute une vie sans amour
de Pierlyce Arbaud

critiqué par Jean-Nicolas Rivière, le 12 mai 2010
(Paris - 57 ans)


La note:  étoiles
Pierlyce Arbaud : plus fort qu'Onfray et Zemmour réunis
Nul doute que si au lieu d’être publié chez un petit éditeur confidentiel Pierlyce Arbaud l’était chez Grasset ou Fayard, il défrayerait autant la chronique, sinon plus (mais disons autant pour ne pas faire de jaloux) que notre surmédiatisé philosophe et notre très (im)populaire journaliste. Seulement voilà, Pierlyce Arbaud n’est qu’un jeune poète et la forme qu’il donne à ses œuvres ne correspond guère à ce que les grandes maisons d’édition recherchent. Conséquence : vous ne l’avez encore jamais vu sur un plateau de télévision et les Giesbert et les Busnel (à ma connaissance) ne se hasardent pas à vous parler de lui.
À en juger par ce qu’il écrit et les réactions qu’il suscite dans un certain milieu universito-littéraire (dont je fais partie) il y aurait pourtant certainement du spectacle et le Zapping du lendemain pourrait bien s’en donner à cœur joie avec quelques extraits lus en direct ou des échanges acerbes virant très vite à l’empoignade.
C’est grâce à mes étudiants (je suis prof de Lettres en fac) que j’ai dernièrement fait (si on peut dire, puisqu’il n’était pas présent) la connaissance de ce jeune phénomène. Les premiers m’avaient invité à me rendre à un café-littéraire pour venir les écouter lire leurs propres œuvres ainsi que celles de quelques auteurs contemporains qu’ils admiraient. Vint la lecture d’un texte d’un certain Pierlyce Arbaud qu’un d’entre eux venait il y a quelques semaines de découvrir et pour la production duquel, dans son introduction, il ne cachait pas son réel enthousiasme. Ce fut durant toute la lecture des sifflets, des huées, mais à la fin, venant d’une autre partie de la salle, un tonnerre d’applaudissements.
Renseignements pris, pour ce qui est de la virulence des propos, l’animal n’en serait pas à son coup d’essai. Il paraîtrait même que dans un certain microcosme littéraire on commencerait à se méfier sérieusement de lui, qu’il ferait peur. Et quand on entend ou qu’on lit ce qu’il écrit, on le comprendrait presque.
Car le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne ménage personne, et ce faisant se plaît à passer en revue les petits et les gros défauts des femmes et des hommes de ce siècle nouveau. De la mère de famille « qui fume (…) s’habille au ras du cul » et « jette mégots et papiers gras dans la rue » devant ses « mouflets » au « relou » à casquette, aux « drogués des jeux en ligne », ou aux parents « qui ont autant d’autorité que des plats de nouilles » ; du chômeur longue durée aux « commerçants pas commerçants » en passant par les pratiquants pas pratiquants, les touristes benêts, les acharnés du portable, les zappeurs frénétiques et les internautes compulsifs, le monde entier est sa cible. Son arme de prédilection ? celle de destruction massive. Fin observateur de notre époque il manie comme nul autre le cynisme et l’humour trash.
Mais il convient de lui rendre justice : il ne se ménage pas lui-même. Et c’est cela qui rend sa démarche intéressante. Il part même de ce postulat : « Je suis laid », où sa laideur physique, cause de son extrême solitude, n’a d’égale que sa laideur intérieure. Enfant puis adolescent rejeté des autres, il est un jeune adulte qui, ayant pris en haine ces autres, n’en voit que mieux leurs propres laideurs.
On pense à l’enfance et à l’histoire d’un certain Hitler. (Hitler, à qui Michel Onfray a été dernièrement comparé…) Et on comprend mieux comment et pourquoi « il y a encore des guerres ».
Là où quelques-uns de ses textes posent malgré tout problème pour certains c’est que, comme il ne viendrait à l’idée de personne d’excuser Hitler, pour eux, être laid et avoir toujours été rejeté des autres n’excuse en rien Pierlyce Arbaud (ou plutôt le narrateur, qu’on suppose être aussi l’auteur, tant son "je" a l’air de n’être pas d’« un autre ») de les avoir écrits. Si, en effet, il ne s’en prenait qu’aux populations déjà énumérées plus haut - auxquelles on peut ajouter les « pipoles », les animateurs télé, les propriétaires de 4x4, ou de pitbulls, les prostituées du Net… S’il ne s’en prenait encore qu’à ces « fouilleurs de merde » qu’on appelle aussi des journalistes, aux grévistes et autres manifestants (qui croient « être autant à plaindre que les mineurs d’il y a un siècle »), aux « tatoués », aux « percés » ou aux métrosexuels, mais il n’épargne pas non plus « les gorettes de quinze ans maquillées et sapées comme des poufs » (c’est-à-dire, mais oui, « votre chère fille, Madame »), ni la faune des « park-singes », ni les « pauvres » et les assistés, ni les « fatmas voilées » (sujet ô combien d’actualité !), pas plus que les curés « qu’ont oublié d’relir’ la Bible », qu’il loge (lui aussi, comme pour en remettre une couche, et sujet encore d’actualité !) à la même enseigne que « les lesbiennes et les pédés ». Décidemment, en voilà trop !
Notre jeune auteur n’est pas qu’un affreux réactionnaire, comme Zemmour, un antisémite refoulé, comme Onfray, il se vante quasiment (autrement dit il ne se cache même pas) d’être un horrible raciste et un abominable homophobe.
Je n’étais moi-même pas loin de le penser quand je découvris une interview de lui où, répondant récemment dans un fanzine universitaire à ses détracteurs (comme Onfray dans Mediapart ou sur le site de L’Express), il expliqua simplement en deux formules très claires qu’il s’était (seulement) agi pour lui de « faire sortir le loup du moi », ce qui revenait à « faire sortir le vous du moi », le tout devant avoir pour contexte notre « merveilleuse époque ». Nous ne sommes, pour le coup, pas très éloignés de Freud.
Dans les écrits de notre jeune auteur donc, pas plus d’incitation à la haine raciale que d’homophobie. Seulement la volonté de mettre en lumière ce qu’un autre critique a appelé son « côté obscur », lequel n’est au fond guère plus sombre ou plus hideux que ce visage qu’il nous arrive tous de montrer au supermarché, sur la plage, dans le métro ou au volant de notre automobile, et que montre même, dans certaines circonstances, le meilleur d’entre nous.
Quoi de choquant ou de scandaleux là-dedans ? Où le racisme et l’homophobie ?
Ah, cette manie de l’amalgame ! (Zemmour/Le Pen, Onfray/Hitler) Un auteur ne peut-il pas se montrer un peu lucide et clairvoyant sur certains sujets sans être pour autant un suppôt de Satan ? Que Pierlyce Arbaud le soit sur lui-même et sur ses contemporains ne fait pour moi que conférer à ses textes un intérêt quasi sociologique. Même s’il va en un sens plus loin que Michel Onfray, renversant l’intouchable Freud de son piédestal, en plus de ce « Dieu qui n’existe même pas », n’a-t-il pas, lui, quelques raisons de virer l’homo sapiens sapiens du sien ?
Quand on pense que nous n’avons affaire qu’à un poète (même si beaucoup, déjà, lui contestent ce statut) et que Toute une vie sans amour doit avant tout être considéré comme un objet littéraire, on se demande bien où nous allons.
Bien sûr, en tant que poète, de sa boue, Pierlyce Arbaud ne fait peut-être pas de l’or, mais il n’en extirpe pas moins une pierre semi-précieuse qui ne manquera pas, pour ceux qui sauront la regarder de près, d’étinceler.
Tout le reste n’est que polémique stérile et malentendu.