Nu-tête
de Anne François

critiqué par Darius, le 14 mars 2002
(Bruxelles - - ans)


La note:  étoiles
Maladie d'amour
De la même veine que "L'ami qui ne m’a pas sauvé la vie" de Hervé Guibert, voici "Nu-tête" d’Anne François.
Après la lente décomposition d'un corps jeune sous le sida, voici la déconstruction d’une autre jeunesse, une danseuse au sommet de sa carrière, sous le cancer..
Tout comme dans le livre précédent, les rapports avec le médecin traitant sont primordiaux pour le malade. Mais contrairement au livre précédent, les contacts avec le médecin seront des plus ambigus. Il tombe amoureux fou de sa patiente, mais d’un amour destructeur.. "Combien d’années t'a-t-il fallu pour sculpter ce corps docile, cet esclave de pierre tendre qui défie la mort ? Laisse-moi te déconstruire, t’emmener là où il nous sera loisible de nous rencontrer.. Désormais, ton corps aura la fragilité des dépouilles qu’on embaume dans la myrrhe et l'aloès, la grâce de tout ce que la mort menace, la seule beauté qui parvient jusqu'à moi... Je la veux, moite et fébrile, incertaine. Elle ne résistera pas.. je la priverai de son identité.. Si je pouvais, je l'enfermerais chez les grands contagieux. Personne n’aurait le droit de l'approcher.. ".
Le livre donne tour à tour la parole à la patiente et à son médecin, mais jamais ils n’échangeront les moindres confidences, elle, elle le craindra, et lui, il attendra son heure..
Il se veut aussi une remise en question par la patiente de sa vie antérieure.
N’est-elle pas en fait responsable de ce mal qui la ronge ? C’est un lieu commun de relever le lien entre le stress psychologique et les pathologies malignes du sang. De vieilles larmes remontent à la surface.... Elle fouille dans la mémoire de son coeur à la recherche des pépites d'échec et de colère qui s’y sont incrustées. Tous les cadavres du placard doivent s’identifier : la petite fille qui pensait qu’elle était née méchante, que seule une vie de privations la sauverait des enfers, elle qui aurait voulu être un garçon, elle qui ne se sentait nulle part à sa place. "Je finissais par me retrouver sous le poids de cette pourriture, le poids que la maladie s’efforce d’évacuer... ". "Elle n’a de pire ennemi que le regard sans amour qu'elle porte sur elle". Elle entrevoit son passé comme une erreur géante : pour devenir aux yeux d’autrui un objet digne d’amour, il fallait payer le prix fort, se faire violence à chaque instant. "Mes ganglions malades, malades de trop vouloir, de toujours avoir à prouver.." Le cancer des ganglions, connu sous la maladie de Hodgkin, du nom de ce professeur qui identifia la lymphogranulomatose maligne il y a moins d'un demi-siècle se caractérise par une perte des défenses naturelles. Le système immunitaire tourne à vide, croyant voir un ennemi. Toutes les forces du corps sont gaspillées dans ce combat dérisoire qui s’est localisé autour du cou, du coeur, dans le ventre.. Cette affection a pu naître de ce qu'elle se refusait un certain droit à l'existence, c’est la maladie des femmes sans défense..
Alors que la malade est en bonne voie de guérison et qu’elle reprend ses activités, non pas la danse car pour elle, il est exclu qu’elle recommence mais un obscur emploi de bibliothécaire, son corps retombe... "Je ne sais, du traitement ou de la maladie, ce qui lui aura fait le plus de tort..". Voilà, tout est là... ne serait-ce pas le traitement qui tue et ne vaudrait-il pas mieux d'abord guérir le coeur avant de s'escrimer sur le corps ?
Personnellement, j'ai essayé d'y trouver un message dans ce livre, celui qui me convenait. Bien sûr, d'autres y trouveront sans doute autre chose... Il reste une écriture admirable, une documentation scientifique sans faille, une analyse des sentiments hors du commun...
Epoustouflant... 9 étoiles

Époustouflant de cris, d'envies, d'appels à la vie.
Divinement bien écrit.
Une histoire qui interroge sur le rapport à la maladie, au corps...et à l'esprit

Takkay - - 39 ans - 5 septembre 2015