Le voyageur
de Alain Robbe-Grillet

critiqué par Kinbote, le 14 mars 2002
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
un regard sur un demi-siècle de littérature
Voici un livre qui reprend textes, causeries et principaux entretiens de Robbe-Grillet de 1947 à 2001. Près de cinquante ans donc de critique littéraire sont ainsi parcourus via le prisme d'un des romanciers les plus novateurs du siècle passé.
On y trouve le premier texte qu'il écrivit lors d'un séjour en Bulgarie en 1947 et le récit d’une visite en Chine en 1984. Mais ce n'est certes pas dans les comptes rendus de voyage que Robbe-Grillet excelle. Il ne vise pas à la description de lieux mais plutôt de paysages mentaux qui, soit dit en passant, s’appuient toujours sur des éléments biographiques mais modifiés,
revisités au gré de l'écriture et du souvenir.
Le présent livre reprend la préface à la réédition en poche en 1972 de « La maison de rendez-vous » signée d'un nom anglo-saxon : Franklin J. Mathews. En fait, c’est Alain Robbe-Grillet qui, affublé d'un pseudo, écrivit ce qui fut longtemps reconnu comme la meilleure critique de son oeuvre. Comme quoi l'auteur lui-même, mais pas plus qu'un autre, reconnaît-il, est habilité à parler de ses livres, surtout quand ceux-ci ne peuvent, à cause leur innovation formelle, être appréhendés par une critique qui ne possède pas encore les moyens de les mettre en perspective. Alain Robbe-Grillet donne à l’occasion son point de vue sur des auteurs qu'il apprécie comme Sade, Camus (pour « L'Etranger »), Sartre (pour « La Nausée ») ou encore Roland Barthes.
La seconde partie de l'ouvrage rassemble des entretiens donnés à L'Express , à Jacques Henric d’Art Press , à Jacqueline Piatier et Josyane Savigneau de Monde , à Jean-Jacques Brochier du Magazine littéraire ou, plus récemment, à Arnaud Viviant des Inrockuptibles.
Dans un remarquable entretien accordé à Françoise Escal autour de la musique, Robbe-Grillet reconnaît sa difficulté, lui qu’on trouve volontiers illisible, à aborder certaines œuvres modernes ; il dit son goût pour Verdi et Wagner mais son ennui à l'écoute des trois quarts de Mozart.
Mais si on vient à lui parler de rapports entre les arts, à cette question bateau il répond : « L’idée d'établir un parallèle entre les arts m'est plutôt antipathique. Il y a des rapports, des échanges ou des clins d'œil. Mais les matières travaillées sont trop différentes pour que des correspondances précises soient pertinentes. » Le cinéaste-écrivain, et par ailleurs peintre, ne voit aucune relation entre l’image et le mot.
Jamais, par exemple, il ne lui est arrivé d’adapter un de ses romans au cinéma. Il déclare dans le « Post-scriptum » au livre: « Les questions que l’on me pose ne sont pas toujours celles qui m’intéresseraient le plus, mais je dois m’en accommoder. »
A lire pour ceux qui pensent que les questions suscitées par l'œuvre du romancier français n'ont été que l'effet d'une mode, ne sont plus d’actualité.