Portraits et Aphorismes
de Bernard Franck

critiqué par Kinbote, le 3 mars 2002
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Le petit monde de Bernard Franck
Bernard Franck est cet écrivain qui a arrêté d’écrire des fictions et qui transporte un peu comme une marque de fabrique ce renoncement au romanesque.
« Je suis devenu un monsieur rassis, un critique indulgent qui a pris son parti de la médiocrité des autres pour justifier la sienne. » On n’est jamais si bien "sévi" que par soi-même et notre écrivain reconverti en critique le montre à merveille qui fait mouche quand il se met en scène plus que lorsqu'il brocarde ses contemporains. « Qu'ai-je fait depuis vingt-cinq ans sinon traîner une réussite initiale en maugréant contre elle parce qu’elle m'est devenue lourde comme un boulet ? »
« L'avis de l'autre l’emporte facilement sur le mien car il me donne l'illusion d’avoir moins servi »
« Ce que j’ai toujours préféré : que la personne aimée ne soit pas absente, mais pas trop de moi. »
Le présent recueil rassemble les aphorismes et bons mots de Franck sur divers sujets dont voici un florilège : Sur Descartes « Ce rebouteux a une satisfaction rentrée qui soulève l’âme .»
Sur d’Ormesson : « Jean d’Ormesson est trop normalien pour être bon romancier » Sur Pennac et les autres : « Les lecteurs, dans leurs petits pavillons individuels, avaient besoin de ces écrivains simples et modestes avec lesquels ils croyaient s’identifier. Au fond cette mode Pennac, Picouly et, maintenant Delerm, ça va bien avec les Jospin, le RMI, les SDF » Sur Rimbaud :« Si on le lit tôt, on ne le comprend pas ; devenu vieux il ne vous épate plus ». Sur Sollers : « Philippe Sollers ne laisse jamais ce qu'il dit ou ce qu'il écrit prendre l’air très longtemps. Un petit tour dehors et hop à la niche, à l’ « Infini » ». Sur les livres : « Quand on ne sait pas quoi penser d’un livre, on finit par en dire du mal » Sur la critique : « La critique hebdomadaire est un cimetière ». Sur les éditeurs : « Pourquoi leur demander d'avoir plus de flair, plus de goût que les écrivains, le public, tous les critiques de leur temps ? » Sur la politique en général « L’intellectuel de gauche n'admettra jamais d'être bousculé puisque c'est sa spécialité »
Sur quelques politiciens en particulier : « Tant qu'il s’agite, qu’il va d’un meeting à l'autre, M. Chirac est hors de danger, le cirque est son élément ». Sur Charles de Gaule « Il s’est servi de l'immensité de son échec pour se sauver du ridicule ».
Il a encore des mots sur les juifs, sur l'alcool et les femmes : « On a toujours envie d'une fille qu’on a décidé « d’avoir ». On n’a pas tant envie d'elle qu’envie de réaliser son plan, envie d’une réussite »
Et : « Pourvu qu'elle m’aime de nouveau, pour que je puisse continuer à ne pas l'aimer. » Mais où Bernard Franck frappe juste, c’est quand il parle des écrivains, qu'il connaît bien : « Le style d'un écrivain énonce le double chéri qui le hante. Dire d'un écrivain qu’il a du style, c'est une autre façon de dire qu’il triche, qu’il transporte en même temps qu'il écrit un passager clandestin. » Ou : « Je n’ai jamais rencontré un écrivain, quel qu'il fût, qui n'ait été persuadé qu'il avait du style. » Ou encore : « Les écrivains de notre génération, ce n’est pas facile. Parler d'eux ou de soi, c’est un peu la même chose. Ce qu’il y a, c’est qu'il ne vous en imposent pas, on n Ôest pas dupe, on les connaît, on les guette. Ce qu’ils racontent, on l’a déjà lu ou on aurait pu le lire, l'avoir lu dans ses propres livres si on les avait écrits. »
En somme, ce qu'on retire de cette lecture, c'est l'impression d’avoir lu ce ton, ces phrases chez d’autres : Cioran, Wilde, Guitry, Kraus,... On est dans comme dans une réception, à un buffet froid, on file d’une table à l’autre, en picorant des entremets, des bribes de conversation un peu mondaine avec, au sortir, l’envie d’un repas chaud, d’un bon roman à se mettre sous la dent.