Brève histoire de pêche à la mouche
de Paulus Hochgatterer

critiqué par BMR & MAM, le 25 avril 2010
(Paris - 64 ans)


La note:  étoiles
Mon truc en plume
Après avoir lu et aimé les polars de William G. Tapply avec son pêcheur à la mouche amnésique, on ne pouvait que tomber en arrêt, comme le chien Ralph, devant ce titre évocateur : Brève histoire de pêche à la mouche.
Un titre tout à fait capable d'appâter le pêcheur émérite que je serai dans une vie prochaine.
Mais la comparaison avec les pêches de Stoney Calhoun s'arrête au titre évocateur.
Parce qu'on n'est ni dans le Maine, ni au rayon polars. Du tout.
À dire vrai, il a fallu feuilleter quelques pages dans la librairie pour se convaincre de la justesse et de la précision de l'écriture et contrebalancer l'effroyable "pitch de la quatrième de couv'" :
trois psy prennent la route pour une partie de pêche à la mouche, le réalisme vibrant plonge le lecteur dans les eaux troubles et sombre de l'inconscient et ferre la part d'ombre qui est en chacun de nous (fin de citation).

Une histoire de psy écrite par Paulus Hochgatterer un .. psy autrichien, ben oui, un viennois forcément ! Une sorte de Woody Allen tyrolien. Vite, fuyons.
Non, restons ! Restons ! Car, on l'a dit, quelques pages lues de ci de là ont eu vite fait de nous accrocher (ah, ah).
Au gré des savoureux dialogues entre les trois pêcheurs, une belle écriture fait virevolter les associations d'idées mais sans que le tyrolien ne se prenne trop au sérieux. On évite donc les effets de plume (ah, ah) qui aurait pu agacer le lecteur comme la mouche le poisson.

[...] - Le nombre d'éoliennes est toujours proportionnel à celui des néonazis, dit l'Irlandais, troisième principe.
" De quoi ?" je demande.
"Qu'est-ce que tu veux dire ?"
"Troisième principe de quoi ? De la thermodynamique ?"
"Troisième principe, c'est tout."
Julian s'inquiète. " Aujourd'hui, pas de politique, s'il vous plaît."

Il est absolument fascinant de voir ces gars se prendre le chou pour des hameçons en plume : Munro killer, Red butcher, Egg-sucking leech, Streamer, Grey fox, Rusty rat, Sunray, Culs-de-canards, Nymphes scud, Adams, ...
Mais cela confirme deux points :
- la pêche à la mouche est une affaire de mecs
- ce bouquin est un délire masculin cérébral.
L'auteur en convient lui-même :

[...] Il me vient à l'esprit que Lea a dit une fois que, pour elle, la pêche à la mouche n'est rien d'autre que de la masturbation masculine en bande, mais je m'abstiens de parler de ça.

Outre les rares évocations d'épouses, le seul élément féminin du récit sera la rencontre d'une jeune serveuse sur la route que les trois compères emmèneront "virtuellement" avec eux .
Au plan du fantasme partagé, dirait l'un des psys.

Un livre où l'on découvre quelques trucs en plume ...
Savoureux ! 9 étoiles

L'apparence est trompeuse, on pourrait se croire dans les vastes espaces de l'Amérique du nord en compagnie de trois pêcheurs partis taquiner le poisson sous le ciel clément. Or nous sommes en Autriche et les grands espaces ressemblent d'abord à l'habitacle confiné d'une voiture dans laquelle Julian, l'Irlandais et le narrateur se psychanalisent à tour de rôle, rarement de manière sérieuse, souvent sur le ton humoristique, se racontant leurs petites histoires qui revêtent de ci de là des allures dramatiques. Pas toujours simple de se glisser dans la peau de l'autre et heureusement, Paulus Hochgatterer le sait. Il utilise plutôt la carte de l'humour, avec un sens de la répartie qui file le sourire, histoire de disséquer quelques propos plutôt intelligents sans avoir l'air de donner une leçon de choses. C'est plutôt bien vu.
J'ai pris énormément de plaisir à voyager en compagnie de ces drôles de gaillards et de leurs petites anecdotes. Le rapport à Woody Allen cité dans la critique précédente est tout à fait exact. C'est bavard, caustique et cérébral comme dans les films de Woody Allen, le sourire est là du début à la fin sans pour autant occulter les grandes questions existentielles qui nous démangent tous un jour ou l'autre.
Alerte et grinçante, la plume de Paulus Hochgatterer est mise en valeur par une écriture saccadée, sèche, qui apporte beaucoup de réalisme au récit tout en créant une atmosphère très particulière.
Un roman que je ne peux que conseiller pour le dépaysement et le plaisir qu'il procure !

Sahkti - Genève - 50 ans - 26 avril 2010