De la rupture
de Gabriel Matzneff

critiqué par Dirlandaise, le 12 avril 2010
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
Vaincre le souffle du néant
Dans cet essai, monsieur Matzneff nous entretient de l’art de rompre. Ayant beaucoup d’expérience en la matière compte tenu du nombre impressionnant de liaisons plus ou moins longues que l’écrivain a eues dans sa vie, il pourrait être facilement qualifié d’expert en la matière. Donc, c’est sur le ton de la confidence et c’est en citant bon nombre de philosophes entre autres Platon, Ovide, Sénèque, Cicéron, Plutarque etc., que l’auteur s’adresse à ses lecteurs par le biais de son filleul qui est une synecdoque car c’est un personnage inventé de toutes pièces pour faciliter le propos.

Monsieur Matzneff nous entretient donc des ruptures inévitables qui ont jalonné ou jalonneront la vie de la plupart d’entre nous que ce soit en amour mais aussi dans d’autres domaines de la vie. Il dépeint les affres de la lecture d’une lettre de rupture particulièrement cruelle, de la tristesse qui suit inévitablement l’annonce de cette affreuse nouvelle, de la révolte bien inutile, des tentatives et des manœuvres pitoyables visant à reconquérir un amour perdu encore plus vaines et de surcroît souvent humiliantes et épuisantes moralement. Il donne aussi des conseils sur l’art de mettre fin à une liaison qui devient lassante et dévore notre énergie et notre joie de vivre. Car il y a « être largué » mais aussi on peut soi-même larguer sans pitié ni espoir de retour un être qu’on croyait aimer plus que nous-même mais qui s’avère posséder tant et tant de défauts et de traits de caractère invivables et incontrôlables qu’il devient nécessaire pour sa propre survie de mettre fin le plus vite possible à cet amour dévorant qui menace de nous engloutir totalement.

D’autres ruptures sont abordées comme la rupture avec nos vilaines habitudes de vie, la rupture avec le conformisme étouffant de la société et la rupture avec le matérialisme et la cupidité. Je dois avouer que j’ai préféré cette partie du texte. J’aime bien monsieur Matzneff pour son refus de se conformer aux attentes de la société, pour son courage et son honnêteté, pour sa fierté et son entêtement à rester lui-même en dépit de l’ostracisme et de la désapprobation de tout son entourage et de la société en général. On le sent cependant extrêmement amer et blessé de ce qu’il a subi mais il demeure un homme philosophe capable de s’accommoder de la méchanceté d’autrui et de poursuivre son chemin la tête haute. Il a droit à toute mon admiration pour cela.

En fin de volume, on peut lire dix-neuf lettres de ruptures soient écrites par l’auteur lui-même ou bien reçues par lui de la part de ses nombreuses amantes. Les noms ont été changés bien entendu mais pour qui connaît un tant soit peu Gabriel Matzneff, il reconnaîtra sans difficulté les auteures de ces missives enflammées.

Quelques suggestions de lectures me semblent intéressantes et j’ai tout noté comme à l’accoutumée. Car avec monsieur Matzneff, on ne se trompe pas question de goûts littéraires et artistiques. Il est tellement cultivé le cher homme et je lui fais entièrement confiance en ce domaine. Un livre que je ne conseille pas à tous mais seulement à ceux qui connaissent bien l’auteur et l’apprécient à sa juste valeur.

« Le miracle de la création littéraire est qu’elle vous permet de vaincre le souffle du néant. Les pétales s’envolent, mais vous les épinglez avec votre stylo, pareil à l’entomologiste qui fixe sur une planche ses bien-aimés papillons. Les ailes de ceux-ci conservent alors leur lumière diaprée, et les joues de vos jeunes amantes leur teint frais et rose. Un jour, hideusement décrépites, ces créatures chancelleront au bord de la fosse, mais leur adolescence et leurs premières amours brilleront d’un éclat toujours printanier grâce aux héroïnes de roman, aux poèmes, aux pages de journal intime qu’elles vous auront inspirés ! Qu’elles meurent, ces ex-jeunes personnes ! Elles sont désormais immortelles. Jamais leur cœur ne cessera de battre. »