Les perles et les cochons
de Jean Dutourd

critiqué par Le Cerveau-Lent, le 11 avril 2010
( - 31 ans)


La note:  étoiles
Au pays des fables revisitées...
S’inspirant d’Esope et de La Fontaine, Jean Dutourd écrit des fables : « Esope était esclave et La Fontaine anarchiste ; cela signifient qu’ils regardent tous deux le monde par en-bas. » Mais Dutourd se veut plus noir que ceux qu’il a choisis pour contemporains.

Avec l’esprit de contradiction qu’on lui connaît pour nos délices : Juliette s’étend sous le chêne avec son Romeo et casse le roseau mal pensant. M. de la Souricière coureur de dot et Landru avant la lettre trouve plus fort qu’elle avec une Mme de la Souricière dont il tombe pour son malheur amoureux et qui raconte à ses petits enfants une histoire d’ « un vilain gentilhomme à la barbe toute bleue ». Ou encore « Il est une variété d’ânes appelés bibliophores » qui portent les livres au lieu de les lire. L’un d’entre eux, qui ne sait pas lire, rencontre un singe plein d’esprit qui s’appelle François Arouet, et le quitte pour aller à la manif. Le lion tue le rat qui l’a sauvé. La cigale renfloue la fourmi ou menace de lui casser les reins. Et je vous laisse découvrir les autres fables.

On rit beaucoup, on se sent cultivé, intelligent. Je vous recommande l’histoire de Sisyphe qui se prend d’amitié pour son rocher. Ou « Le crépuscule des loups », dans lequel un agneau noir se révolte et désire marcher vers des lendemains qui bêlent...
Un vrai régal 9 étoiles

Au temps d’Henri II, un aristocrate qui a accumulé une jolie fortune en récupérant les dots de ses épouses successives mortes prématurément, rencontre une belle courtisane au charme de laquelle il ne peut résister… Un âne « bibliophore », c’est-à-dire porteur de centaines de livres, rencontre un singe écrivain qui lui déclare s’appeler François Arouet… Suite à un naufrage en Méditerranée, un dauphin recueille un singe, unique survivant d’un équipage anglais… Socrate et Dupont discutent doctement de l’abolition de la peine de mort et ne sont d’accord sur rien… Le président d’un petit état des rives du Danube vient plaider la cause de son pays devant une commission qui ne comprend pas bien ce que peut bien signifier un « socialisme à visage humain »…
« Les perles et les cochons » est un recueil de 39 courts textes de styles divers et variés, tous marqués de l’humour particulier de Jean Dutourd. On y trouve des fables de Jean de La Fontaine remises au goût du jour, c’est-à-dire nettement plus noires et plus pessimistes que les originales (le chêne et le roseau, le lion et le rat et bien d’autres encore comme cette version du loup et l’agneau qui est un petit chef-d’œuvre à elle toute seule), quelques contes bien sombres comme celui de Barbe-bleue ou celui de la Belle et la Bête, et des mythes comme celui de Sisyphe ou de Prométhée. L’ensemble est un vrai régal de lecture qui donne à réfléchir, car en plus d’une plume aussi élégante que flamboyante, le lecteur y trouve une grande finesse d’analyse et une intelligence remarquable. Lisez Dutourd.

CC.RIDER - - 66 ans - 14 février 2017