Un soir sans raison de Françoise Lefèvre

Un soir sans raison de Françoise Lefèvre

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Thémis, le 3 mars 2002 (Ligny, Inscrite le 17 avril 2001, 54 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (22 864ème position).
Visites : 3 308  (depuis Novembre 2007)

Une approche différente de la maladie d'Alzheimer

Tout commence avec un prospectus reçu dans la boîte aux lettres au sujet de ce mal qui frappe de plus en plus souvent au-delà de soixante ans.
Par moment, l'auteur parle d’elle comme si elle vivait dans un hospice à l’âge de nonante-sept ans. Probablement la réalité pour pas mal de personnes âgées...une projection dans l'avenir pour elle ?
Beaucoup de bon sens émane de ces pages, notamment l’envie, le besoin et la nécessité d'écrire. Ecrire pour se souvenir, pour ne pas oublier; pour exister peut-être... La perception de soi tellement différente de celle que les autres imaginent en croyant bien faire. L’écriture et l’amour sont les seuls moyens de ne pas sombrer totalement dans le néant !
Françoise nous parle de cette maladie, telle qu’elle peut être ressentie et non de la façon dont on la perçoit de l’extérieure. Ce livre se situe à la limite entre le roman et une espèce d'autoportrait futuriste.
La peur, cette peur de ne plus rien faire par soi-même, ne plus reconnaître les siens. La confiance, celle qu’on ne peut accorder qu'à ceux qui vous considèrent toujours comme une personne à part entière et non un légume inutile !
L’absence de toute réalité, afin de pouvoir s’évader dans ce grand champ de coquelicots qui vous tend les bras. Moments choisis d’une vie, brefs souvenirs, sursauts d'humanité dans ce trou noir. Voici deux petits extraits révélateurs :
-Accepter d'être brûlée vive dans les images de sa vie. Ne pouvoir en sortir qu'en l’écrivant.
-Serait-ce cela mourir...ouvrir une fenêtre pour laisser entrer les baisers non reçus...les amours non vécues...les années perdues...les beaux insectes bleus...
Très belle écriture, pleine de réflexion et de sensibilité !

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Se souvenir pour vivre avant de mourir

9 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 49 ans) - 19 octobre 2004

"Un soir sans raison, elle quitta la maison. Pendant des heures, elle marcha droit devant elle, dans le noir, le froid, la pluie…"

Voici commence le récit de Françoise Lefèvre. La narratrice reçoit une brochure d’information sur la maladie d’Alzheimer. Elle prend peur. Elle aussi a des tous de mémoire, il lui arrive d’entrer dans une pièce en oubliant immédiatement pourquoi elle s’y rend, de poser ses lunettes dans le frigo au lieu du beurre, d’oublier 1001 petites choses de la vie. Alors elle s’interroge. Serait-elle malade? Sont-ce les premiers signes qu’elle perçoit? Ce dépliant l’interpelle au plus haut point. Elle réfléchit sur sa vie, cette vie trépidante partagée entre le travail, la maison, les enfants et le monde extérieur. Si finalement c’était ce rythme soutenu et insoutenable qui la fatiguait au point de lui faire perdre la mémoire ? Et perdre la mémoire, est-ce perdre la tête?
Elle se met à réfléchir, elle essaie de se souvenir. Se souvenir, c’est fixer les êtres et les choses sur la pellicule de son esprit, c’est un recueil de mémoire. oui mais se souvenir, ça peut faire mal, très mal. Surtout lorsqu’on se retrouve confronté aux fantômes du passé. A celui d’un amour perdu dont la blessure de l’absence ne s’est jamais refermée. Se souvenir pour maintenir la vie c’est en même temps flirter avec la mort.
"On découvre d’autres possibilités d’aimer. mais plus jamais on ne chantera. jamais plus on n’osera. Jamais plus on n’aimera comme on a aimé. Personne n’a les mains ni l’esprit de l’absent. Personne ne vous parlera, ne vous regardera comme lui l’a fait. Il vous manque. Jusqu’à la fin, il manquera. En quelques jours tout vous a été donné. Tout vous a été repris." (page 12)
Digressions incessantes de Françoise Lefèvre sur le passé, sur ses enfants, sur la misère qui fut sienne pendant ses premières année de jeune maman, une misère humaine et sociale dont elle se sortira avec fierté au prix de nombreux efforts.
Au fur et à mesure de la lecture, on se rend compte que nous sommes plongés dans un livre d’entretiens. Françoise Lefèvre à 97 ans, elle se confie à un jeune homme qui a étudié son œuvre, a découvert de la correspondance et aimerait que l’auteur parle d’elle. Pas mal de pointes d’humour dans ce texte, Françoise Lefèvre lançant un regard impitoyable sur ces institutions moribondes qui accueilles les personnes âgées en fin de vie.
Magnifiques passages sur la mort, l’amour, l’écriture. Une fois de plus, Françoise Lefèvre se livre corps et âme dans son récit, elle s’y insère toute entière sans pudeur et avec franchise, ce qui permet au lecteur de s’identifier complètement à ses propos, de s’y sentir comme chez soi, sur le terrain de la confiance. La narratrice est attachante, son évolution nous captive, on avance avec elle, on la soutient, on veut la porter dans ses efforts et au moment où notre compassion prend le dessus, pirouette de Françoise Lefèvre qui nous démontre que cette femme a toute sa tête, que son énergie est bien présente, qu’elle nous donne une formidable leçon de vie à méditer longuement. Au milieu des coquelicots chers à l’auteur. Se baignant dans cette lumière aveuglante qui emporte tout avec elle. Se laissant bercer par la magie vénitienne qui l’hypnotise encore des années plus tard ou relisant avec émotion les lettres bretonnes de jeunesse.

"Il faut toujours se méfier d’une vieille dame qui ne dort que d’un œil et que seule l’idée de l’amour maintient en vie" (page 136)

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