Instantanés
de Alain Robbe-Grillet

critiqué par Kinbote, le 14 février 2002
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Un arrêt fragile dans le mouvement
Six textes écrits entre 1954 et 1959 constituant une bonne entrée en matière dans l'œuvre du plus représentatif des Nouveaux Romanciers.
Il s’agit de descriptions qui, comme s’en explique l’auteur ailleurs, ne favorisent pas forcément la vue mais la brouille volontiers, fournissant parfois tant de détails qu’on ne voit plus rien.
« Trois visions réfléchies » rappellent, dans un texte intitulé « Le mannequin », avec le descriptif d'une nature morte à la cafetière (c’est le seul texte où n'intervient aucun personnage) qu'à propos de Robbe-Grillet on a parlé de révolution cézanienne. On retrouve dans ces textes des constantes comme la fixité, la circularité (un de ces textes,« l'escalier mécanique », est emblématique de cette démarche) que Robbe-Grillet emploie principalement pour détourner le lecteur d’une lecture humaniste, naturaliste et somme toute claire, simpliste et culturelle des choses.
Des textes comme « La plage » et « Chemin du retour » ont pour décor la mer, qui a bercé l'enfance de l’auteur, natif de Brest.
Un texte dédié à Gustave Moreau (« La chambre secrète ») qui met en scène, dans la manière du peintre, le lieu d'un crime sexuel fui par l'assassin, a fait croire à certains que c'était la description d’un véritable tableau du symboliste français. C’était se tromper doublement car Alain Robbe-Grillet ne part jamais d’un tableau, d’un objet posé devant lui, qu'il reproduirait en quelque sorte de sa plume ; son écriture crée et détruit l'objet en tant qu’objet réel à mesure de la description.
On comprend qu’il ait intitulé Instantanés ces « petits travaux », comme il aime à appeler ses écrits.
« …au dessus l’eau était tout à fait lisse et en apparence immobile ; puis elle s'incurvait brusquement d'une rive à l’autre en une barre cylindrique, à peine ondulée par endroit, dont l'écoulement était si régulier qu’il donnait encore en dépit de sa vitesse l'impression de repos – d'un arrêt fragile dans le mouvement , comme les instantanés permettent d'en admirer : un caillou qui va crever la tranquillité d'une mare, mais que la photographie a figé dans sa chute à quelques centimètres de la surface. »