La conscience expliquée
de Daniel Clement Dennett

critiqué par Oburoni, le 13 mars 2010
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
« L'esprit c'est le cerveau ».
"Qu'est-ce qui fait d'un peu de matière un être animé ? Qu'est-ce qui confère à certaines structures physiques le privilège énigmatique d'éprouver des sensations et d'avoir des expériences ? La conscience. Mais que sait-on de la conscience ?"

Le philosophe Daniel Dennett apporte ici des éléments de réponse. Il jette des pistes qui pourraient nous aider à résoudre la question en s'appuyant sur les plus récents travaux scientifiques.

Avant de dire ce qu'il en est, il commence par dire ce que la conscience n'est pas.

Il s'attaque d'abord en effet à détruire la théorie qui fut la plus en vogue à ce sujet : le dualisme cartésien, selon lequel nous sommes une composante de deux entités, l'esprit ( la conscience ) agissant sur la matière (le corps) a travers des signaux envoyés dans une partie bien précise du cerveau (la glande pinéale).

Démarche surprenante me direz-vous puisqu'on sait depuis longtemps que Descartes, concernant la conscience, avait tout faux !

En fait ce qui l'intéresse dans son rejet du dualisme cartésien c'est que pour lui une erreur fondamentale de cette théorie continue à alimenter même le matérialisme : l'idée que dans le cerveau se trouve un genre de quartier général ( la glande pinéale pour Descartes ) qui recevrait et traiterait toutes les informations lui parvenant.
Citez une théorie et bingo ! De la formation réticulée au lobe frontal, d'après Dennett les neurosciences s'empêtrent à vouloir chercher LE point précis du cerveau qui serait cause de ce que l'on appelle conscience, alors que ce qu'il baptise ironiquement le "matérialisme cartésien" est en fait une erreur : pour lui c'est le cerveau dans son ensemble qui est cause de la conscience, et non pas une seule et unique partie de celui-ci.

C'est ce qu'il nomme le "modèle des versions multiples" ( "Multiple Drafts Model" ). La conscience, au sens traditionnel, n'existe pas. Il s'agit en fait du mode de fonctionnement du cerveau : recevoir des informations dans certaines parties puis les propager ensuite à l'ensemble, ce qui va entrainer les réactions appropriées. Vous voyez où cela aboutit : le cerveau n'est ni plus ni moins qu'une sorte de super-ordinateur et... j'en vois certains qui froncent les sourcils !

Choquant ? Non; pensez à tout le processus biologique ( évolution à travers la sélection naturelle ) qui a abouti à la conscience :

Pour s'adapter et survivre il nous a fallu en effet développer un système nerveux assez complexe pour appréhender notre environnement. Une sélection génétique s'est donc mise en place aboutissant à un certain phénotype où, non seulement le cerveau -à travers le système nerveux- extrait et traite les informations lui venant du dit environnement ( il fait le tri entre ce qui est bénéfique, ce qui ne l'est pas et agit en conséquence ) mais, en plus, devient assez souple pour que des individus de la même espèce soient capables de stocker ces informations et leurs réponses dans leurs génomes ( effet Baldwin ). Ce dernier devient alors un facteur déterminant puisqu'il accélère le processus d'évolution, permettant à ces informations d'être transmises d'un cerveau )à l'autre, d'une génération à l'autre ( mémétique ).

Évolution génétique, souplesse du phénotype et évolution mémétique : la conscience n'est ni plus ni moins que le cerveau auquel, au final, on peut appliquer l'architecture de Von Neumann telle qu'utilisée en informatique -comme l'ordinateur, une simple machine mais dotée d'une mémoire qui lui permet de stocker des données et programmes, il n'est à la base qu'un simple organe mais dont la souplesse va permettre l'absorption d'informations.

Une approche bouleversante de notre idée même de conscience.

Les derniers chapitres du livre s'attellent ( longuement ! ) à démolir ce qui est censé poser problème à une telle vision : les qualias, à savoir les sentiments éprouvés lorsque l'on expérimente quelque chose (la faim, la douleur etc.. ). Ces sentiments éprouvés, purement subjectifs, sont censés montrer que le cerveau est plus qu'une machine biologique.

Daniel Dennett, pourtant, les balaye en s'appuyant sur l'hétérophénoménologie. Une méthode simple : puisque notre conscience peut nous induire en erreur, quand un sujet éprouve quelque chose un autre sujet doit pouvoir être capable de dire s'il a tort ou raison en pensant éprouver ce qu'il dit éprouver. Il applique même cette méthode aux animaux ( chauve-souris ) qui ont une façon différente de la nôtre de percevoir l'environnement mais que, pourtant, on est capable de cerner et d'analyser objectivement.
Cette simple contradiction -les qualias sont censés être subjectifs or une autre conscience peut les saisir objectivement- lui les fait mettre à la poubelle.

Un livre vaste, qui touche à la philosophie, la biologie, aux sciences cognitives, à la robotique et aux intelligences artificielles, le genre d'essai qui demande un effort de la part du lecteur pour bien en saisir les différents points, agencements et répercussions mais qui, au final, vaut la peine d'être lu.

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