Breaking the spell
de Daniel Clement Dennett

critiqué par Oburoni, le 26 février 2010
(Waltham Cross - 41 ans)


La note:  étoiles
La croyance en la croyance
L'américain Daniel Dennett, l'un des plus importants philosophes contemporains et dont la pensée va au-delà de la simple philosophie pour embrasser les sciences -cognitives et biologie évolutionniste essentiellement- s'attaque ici à un tabou : celui qui veut que la religion d'une part ( qu'il définit comme étant "un système social dont les participants croient en un ou des agent(s) surnaturel(s) dont ils recherchent l'approbation" ) et les croyances qui les engendrent d'autre part soient à l'abri d'investigations scientifiques.

Alors là, une pause s'impose parce que je vous vois venir...

Il y a longtemps bien longtemps -au moins depuis David Hume !- que la religion est considérée comme étant un phénomène naturel et, donc, soumis à tout un tas de champs d'études rationnelles scientifiques pour tenter de la comprendre et de l'expliquer. Philosophes, anthropologues, sociologues, biologistes et autres -que l'auteur cite à outrance- ont tous une pierre à apporter. "Tabou" semble donc un bien grand mot, oui, sauf que : Daniel Dennett s'adresse ici aux lecteurs américains, pas aux autres. Aux Etats-Unis, pays très religieux, il y a bel et bien un "tabou", tout au moins une sorte de gêne, à voir la croyance religieuse passée sous le microscope pour y être analysée. C'est ridicule, et Dennett commence par faire voler en éclat une telle démarche.

Les premiers chapitres sont donc bateaux, rébarbatifs, enfoncent des portes ouvertes et le feront paraitre trainer des pieds pour en venir au fait. Passons dessus : sans grand intérêt.

En fait le bouquin devient intéressant lorsqu'il commence à expliquer le pourquoi d'une telle gêne.

Pour cela il débute par remonter aux origines même de la croyance, rappelant qu'elle est un pur produit de l'évolution à travers la sélection naturelle. Il la voit en effet comme étant une nécessité naturelle née de notre besoin de comprendre notre environnement pour mieux nous y adapter, la religion étant un meme, né de ces croyances, qui a évolué jusqu'à devenir les institutions organisées que l'on connait.

Pourquoi, dès lors, un tel acharnement à ne pas les voir critiquée ? C'est là qu'entre en jeu sa notion de "croyance en la croyance" ( "belief in the belief" ).

Dennett, américain, prend en exemple le christianisme et la croyance en Dieu aux Etats-Unis pour l'expliquer. Il constate deux choses :

1- les croyants eux-mêmes ont du mal à définir ce qu'ils conçoivent par "Dieu" -du Dieu anthropomorphique de l'Ancien Testament à un vague concept teinté de panthéisme où n'importe quel fait, même l'évolution, peut faire l'affaire;
2- non seulement ils sont incapables de dire ce en quoi ils croient ou, pire, se contredisent les uns les autres mais ils se rattachent, en plus, à des églises de toutes confessions possibles et imaginables qui, toutefois, insistent toutes sur les bienfaits supposés de la foi.

Il y voit là quelque chose de capital : pour lui ce n'est pas le fait de croire ou de ne pas croire en Dieu, quel que soit ce que l'on entend par Dieu, qui pose problème. Il le montre, Dieu est une idée trop vaste, floue, abstraite, trop fourre-tout en somme, pour être prise au sérieux. Non, c'est le fait de se rattacher à cette idée, largement répandue par les religieux eux-mêmes, que la croyance est essentielle. Pourquoi ? Il n'y a qu'à les écouter : elle est source de morale, un frein au nihilisme, donne naissance à des communautés fortes, relie des individus, fonde le tissu social etc...
La professer est perçu comme une vertu qu'on l'ait ou pas, parce l'on croit que croire est bien, aller à l'encontre de cela c'est mettre en péril le bien-être moral de la société.

En un mot : la croyance est secondaire, c'est en fait la croyance en la croyance qui motive le tabou.

Or est-ce juste ?

Si la religion était vraiment la source dont découle notre morale oui, le tabou serait justifié. Seulement voila : elle ne l'est pas. Notre morale est en effet le fruit de l'empathie, un trait biologique tout ce qu'il y a de plus naturel et qui n'a rien à voir avec nos croyances, ou la nature de nos croyances, au surnaturel. Dennett insiste et remet donc le couvert : puisque la croyance en la croyance est absurde, le tabou n'a pas lieu d'être.

Si "Breaking the Spell" est long à démarrer, enfonce des portes ouvertes pour des lecteurs non-américains ( la gêne autour des critiques scientifiques du fait religieux ) et contient des passages sur la biologie, l'anthropologie et la sociologie qui peuvent rebuter certains, il reste malgré tout un ouvrage assez remarquable pour son idée frappante de "croyance en la croyance". A découvrir.