Des myrtilles dans la yourte
de Sarah Dars

critiqué par BMR & MAM, le 22 février 2010
(Paris - 63 ans)


La note:  étoiles
Voyage en Mongolie
Après avoir traversé ce pays à bord du Transmongolien il y a deux ans, d'Irkoutsk à Pékin, fascinés par les cercles blancs des yourtes sur le vert de la steppe ou par le désert de Gobi qui filait entre les rails, on ne pouvait évidemment pas laisser passer ce polar.
Un bouquin d'une française voyageuse, Sarah Dars, qui a écrit également d'autres histoires policières sur l'Inde qu'elle connaît aussi très bien.
Il ne fallait pas s'arrêter au mauvais jeu de mots du titre qui cache en réalité un livre fort intéressant.
Sarah Dars connait bien la Mongolie, elle aime ses habitants, elle admire ses paysages et elle s'entend à nous faire partager son approche de leur culture.
Pour voyager en classe polar, comme on aime ici à le dire, ce bouquin est tout simplement idéal, presqu'un guide de voyage.
Sans naïveté inutile, sans langue de bois, Sarah Dars réussit à éviter les clichés convenus et nous fait découvrir la Mongolie d'aujourd'hui, écartelée entre tradition nomade et modernité sédentaire, entre pratiques chamaniques et bouddhisme rituel, entre colons russes et envahisseurs chinois (et vice versa).
Un pays qui essaye également de s'ouvrir au tourisme occidental.
Le prétexte au voyage est une petite intrigue policière : deux américains sont venus chasser les antilopes des steppes.
Accompagnés de leurs guide, interprète et chauffeur mongols, ils s'éloignent dans la steppe, progressant de campement de yourtes en campement de yourtes.
Mais bien entendu, les éléments sont contraires, les américains se montrent arrogants et irrespectueux, le gibier se fait rare, l'ambiance du petit groupe se dégrade et l'équipée tourne mal : l'un des deux américains disparaît ...
Vengeance irritée de l'un des guides ? Embrouille ratée avec un trust pharmaceutique russe ? Trafic manqué avec une compagnie minière chinoise ?
Yesügei, le flic mongol amateur d'alcools et de femmes, menacé de retraite anticipée pour insubordination, commence son enquête, progressant de campement de yourtes en campement de yourtes sur sa moto Guzzi, essayant de soutirer habilement quelque information à ces rudes hommes des steppes que sont ses compatriotes.
On retrouve chez Sarah Dars une ambiance étonnamment proche des polars navajos du regretté Tony Hillerman : certes Oulan-Bator et Gallup sont presque aux antipodes mais ce sont deux régions rudes et sauvages qui ont façonné de semblable façon les hommes qui les habitent, des taiseux, que seuls les flics du cru savent apprivoiser.
Pour ne prendre qu'un exemple, on se rappelle peut-être que les navajos ne prononcent pas le nom des morts pour laisser leur âme en paix : ici, certains mongols préfèrent taire leur propre nom et s'affubler d'un sobriquet pour se protéger des mauvais génies !
Rendons grâce à Sarah Dars d'arriver à faire paraître son lecteur plus intelligent, le temps de ces quelques pages, mais sans prise de tête ni prétention : l'intrigue policière est mince et ne sert que de prétexte à un agréable voyage habilement parsemé d'illustrations de la culture mongole.
L'écriture est précise et l'apparente facilité de lecture masque un vocabulaire étonnamment riche (du mongol et du français), c'est un régal.
En attendant, on l'espère, une prochaine enquête de Yesügei, le voyage en Inde en compagnie de cette auteure nous tente bien ... on en reparlera !
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Quelques tranches de vie de ce peuple de cavaliers et de chasseurs :

à propos de la graisse de chameau dans le thé : la poussière, on l'essuie, la graisse, on la lèche.
à propos d'un bavard qui exagère : il ajoute volontiers des crinières par devant et des queues par derrière.
à propos de quand les poules auront des dents : oui, c'est ça, quand la queue du chameau touchera terre !
à propos d'une amusante légende : à l'origine, la tête des chameaux était pourvue d'andouillers. Ces imprudents les prêtèrent à des cerfs qui ne les leur ont jamais rendus.
à propos de quelqu'un de collant : il vous suit comme la rate adhère à la panse, comme le taon d'été s'attache à la croupe du cheval.
à propos du premier gobelet d'eau de vie que l'on jette en l'air : c'est la part du soleil.
à propos des fameuses myrtilles : on les appelle les baies-nuages à cause de leur couleur de ciel d'orage.
à propos des mystérieux dons des chamanes : il est des yeux qui voient, d'autres pas.
et ma préférée, à propos d'un enfant adopté : il n'est pas né tout nu mais est arrivé tout vêtu.
Rafraîchissant et dépaysant 8 étoiles

Un beau polar, bien écrit, original et qui nous fait voyager avec bonheur. Ne boudons pas notre plaisir.

Isabella - Paris - 42 ans - 12 mars 2010