Itinéraire d’un enfant qui a su se faire gâter

Vous connaissez l’histoire de Jésus-la-Caille ? Comment il vécut, dans quels bars il vidait des bocks et avec qui il passait ses nuits ? Sachez au préalable que son histoire ne date pas d’aujourd’hui puisqu’elle remonte au début du siècle dernier et qu’elle est l’œuvre de M’sieur Francis dont la tendresse pour la racaille et la faune urbaine interlope était connue de tous.

Alors voilà Jésus-la-Caille est un gosse charmant qui traîne du côté de Montmartre en compagnie de ses amis truqueurs et gigolos Olga, Titine, Gueule d’Amour et surtout Bambou. Ce dernier vient de se faire poisser par les bourres suite à ce qui a tout l’air d’une dénonciation. Emu aux larmes, ou presque, par les lettres que lui envoie Bambou du Dépôt, la Caille cherche à savoir ce qui s’est passé. Les soupçons se portent alors vers Pépé-la-Vache, soupçons que confirme aussitôt la môme Mina présente lors des faits.

Quelque peu inconscient, comme le sont souvent les amoureux éconduits, Pépé-La-Vache trahit encore ses semblables aux flics mais cette fois c’est le Corse qui fait les frais de ses indiscrétions et finit en prison pour avoir été pris en flagrant délit de cambriolage. Du coup, Fernande, la protégée du Corse, se sent plus seule que jamais et trouve en Jésus-La-Caille un nouveau protecteur au charme particulier : « Elle se demanda ce que pouvaient être les sentiments de Jésus-la-Caille pour une femme. Elle ne savait pas s’il détestait les femmes ou non. Son vice, qu’il affichait, la jetait dans un embarras extrême et la séduisait ».

Les deux improbables tourtereaux s’installent dans une chambre d’hôtel et se partagent les rôles : Fernande continue de faire ce qu’elle faisait tandis que La Caille prend le relai du Corse à sa manière. Au bout de quatre mois à peine, l’association finit par voler en éclats ; il faut dire que la Caille mettait bien peu d’empressement à battre Fernande… Chacun part de son côté pour reformer une nouvelle équipe : Fernande tombe dans l’escarcelle de… Pépé-la-Vache et La Caille ne trouve rien de mieux que de s’acoquiner avec la Puce, le propre frère de Bambou…


On peut être surpris par l’importance du personnage de Fernande, jeune et jolie prostituée qui, en dépit d’un caractère bien trempé, cherche en permanence un protecteur, un homme capable de défendre sa dignité. Je vois plutôt, au travers de la figure typique de la tapineuse qu'elle représente, le contrepoint du personnage opaque et mystérieux de la Caille dont, finalement, on sait peu de chose si ce n’est qu’il sait profiter de la vie grâce à une ambiguïté savamment travaillée. Bon prince, Carco laisse quand même échapper au fil du roman quelques indices sur son équivoque gosse : « Il entretenait à plaisir, sur son compte, une détestable réputation, car, de bonne heure, il avait compris qu’il obtiendrait des filles assez d’argent pour vivre sans travailler, à condition toutefois de se faire désirer et de s’aider du scandale » ou encore « à Montmartre, où les hommes se partagent en deux catégories distinctes, Jésus-la-Caille tenait à la fois des deux types et il profitait d’un mystérieux pouvoir dont se défendent mal d’habitude les filles qui se voyaient en lui. »

Sans doute l’un de ses romans les plus connus, « Jésus-la-Caille » imposait le style de Carco et sa volonté de décrire avec vérité des figures du « milieu » de l’époque (certains parlent de son attirance pour les bas-fonds, d’autres évoquent ses romans-apache). M’sieur Francis atteint ici à n’en pas douter son objectif en réussissant à nous proposer un univers, son univers, où se mêlent en permanence un pittoresque parfois réjouissant et une violence qui ne demande qu’à sourdre.

• 

  Jésus-la-Caille [Texte imprimé], roman Francis Carco,...

  de Carco, Francis
  Albin Michel
  ISBN : 9782226186652 ; 14,20 € ; 29/04/2008 ; 218 p. ; Broché

  Go Amazon