Par amour
de Antonio Manuel

critiqué par Antonio, le 19 janvier 2010
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Antonio Manuel par lui-même
Des questions se posent quant au fait que la recension de Gérard Coudougnan, consacrée à mon roman « Par amour », n’ait pas été publiée sur Les Toiles Roses. De même l’on s’interroge pour savoir pourquoi ce n’est pas lui qui l’a postée ici même.J’en suis le premier surpris. Je reste incrédule. J’espère qu’il n’est pas souffrant.

Une interview avait été prévue, des thèmes faisant office de ligne directrice avaient été proposés. Puis ce fut un grand silence. Une attente. Vaine.

Je remercie quiconque aura l’amabilité de me fournir une explication concernant cette énigme, je le souhaite, provisoire.

J’en profite pour remercier Gérard qui a fait preuve d’un regard d’une grande empathie et d’une extrême acuité en lisant mon roman « Par amour ». Il a su en effet répertorier les principaux motifs composant la trame du livre : le blanc de la page, le rouge du sang de l’écriture, le questionnement métaphysique sur l’amour et son corollaire religieux sous la forme de la fascination exercée par la figure du Christ.
Les personnages de la mère et du père du narrateur sont brossés d’un trait sûr bien qu’ils occupent toutes les béances du récit où la parole tente de s’émanciper. La psychanalyse est évoquée avec son lent et minutieux travail de spirale où le désir s’éprend du miroitement des mots, où le passé d’avant la vie du narrateur, le pays de naissance de ses géniteurs, acquiert une aura fabuleuse jusqu’à devenir la terre mère, l’Algérie fantasmatique, le non lieu du silence et de l’exil.

Gérard est un précieux allié. Il excelle dans l’art de dévoiler la machinerie de nos écrits sans leur ôter leur ambiguïté fondatrice ni la puissance de l’émoi qu’ils suscitent en nous. Il montre, il expose aux yeux dessillés la grande horlogerie de ces quasi-mondes que sont nos livres, sans néanmoins les déflorer, avec cette tendresse et ce respect que chacun lui reconnaît.

Balzac conseillait d’écrire ou de faire des enfants. Incapable de mener à bien le second de ces deux ambitieux projets, j’espère ne pas avoir enfanté un monstre.
Sans pitié 8 étoiles

J'ai lu Par amour comme on observe une immense tapisserie du XVIIIe siècle ...
Antonio Manuel est l'héritier des plus grands maîtres lissiers de la manufacture espagnole de Santa Bàrbara. Ce jeune écrivain sait tisser les mots sur son métier d'homme de lettres. Son carton, son programme n'apparaissent pas dès les premières pages de ce travail dense et aux mailles finement ouvragées. Avec un peu de recul se distinguent des grandes lignes : l'amour en est, comme le titre l'indique, l'ordonnateur majeur. Amours d'un homme pour d'autres hommes, vécues sans aucune culpabilité mais avec de grandes interrogations sur l'étendue, les limites, les perspectives et les couleurs de ces personnages secondaires, les partenaires. Au premier plan se situent les parents : la mère, source tarie et ceux à qui l'oeuvre est dédiée : le père espagnol illettré et viscéralement homophobe et la grand-mère aimante.
Le style peut être rattaché à diverses écoles : Freud (avec des touches lacaniennes et doltoiennes), les principes du yoga et Jésus Christ, fils d'un dieu d'amour, qui a ressuscité Lazare.
Des écrivains jouent un rôle : Annie Ernaux, Madeleine Chapsal et Dominique Fernandez.
Les coloris sont violents et contrastés : les fils de la trame narrative ont été trempés dans le sang et les excréments ainsi que dans divers aliments (ingurgités ou régurgités) et des doses variables d'anxiolitiques et d' antidépresseurs. Le blanc lacté fait cruellement défaut à l'auteur qui recourt régulièrement au gris de son psychanalyste.
Antonio Manuel a remis plus de cent fois son ouvrage sur le métier à tisser les descriptions, les émotions, les aspirations, les déceptions, les affections.
Chaque mot, chaque phrase est un travail minutieux : les mots importants sont traités à la loupe étymologique, les personnages reviennent régulièrement préciser un profil que le maître lissier n'hésite pas à recadrer dans une nouvelle perspective à partir d'éléments de la toile de fond qui viennent modifier l'angle de vue. Un aplat devient un relief, un détail une pièce centrale.
Le corps de l'oeuvre est celui de l'auteur : un champ de batailles où les étreintes sensuelles à deux ou trois sont aussi puissantes que le combat mené contre une maladie qui entraîne le narrateur dans des introspections douloureuses où se succèdent boulimie et anorexie :
« Mon corps exprime ce que je ne puis entendre. Il met en maux tout le maudit des mots, tout le rance du sentiment, le ferment de toute rancune. Ni haine, ni amertume, certifie ma parole. Mais mon corps désavoue cette vérité fourbe, juste bonne à tromper ma logique, ma raison. » (p.101)
Par amour est le poignant récit d'un combat entre coeur et corps, raison et passions. Le tableau d'un maître qui sublime ses douleurs dans une prose ciselée au scalpel. Rêves et cauchemars, sans doute plus près de la réalité d'un homme que de la fiction d'un narrateur qui réussit à nous entraîner vers une ligne d'horizon. Il est évident que cette écriture en a défini le cadre et les perspectives.

Spiderman - - 61 ans - 25 janvier 2010