René Lévesque
de Daniel Poliquin

critiqué par Leroymarko, le 17 janvier 2010
(Toronto - 50 ans)


La note:  étoiles
Sacré Ti-Poil!
Avec cette petite biographie, l’auteur ne prétend pas tout dire sur la vie de celui qu’on appelait affectueusement Ti-Poil. Il le précise d’ailleurs: «si on veut tout savoir, mais absolument tout, sur René Lévesque, c’est Godin qu’il faut lire et non moi». Il parle de Pierre Godin, qui a raconté la vie de René Lévesque en 4 tomes. Mais l’ouvrage de Poliquin n’est pas sans intérêt. Loin de là. J’ai par ailleurs bien aimé le style familier que l’auteur adopte pour raconter le tout.

L’auteur admet d’emblée qu’il aimait René Lévesque. D’ailleurs, tout le monde l’aimait, ou presque. Même au Canada anglais. Ici, l’auteur cite l’un des acolytes de Lévesque, Claude Charron: «Lévesque, c’était nous autres, l’homme que nous sommes tous un peu, quelque part. Trudeau [on en reparlera de celui-là!], lui, c’était l’homme que nous aurions tous voulu être».

Poliquin relate d’abord l’enfance de René Lévesque. Né au Nouveau-Brunswick (on l’oublie souvent), sa famille s’installe peu après en Gaspésie, dans un milieu surtout anglophone. Ses parents sont aisés. René Lévesque ne pourra pas raconter plus tard qu’il a grandi dans la pauvreté, alors que c’est le cas pour la plupart des Canadiens-Français de l’époque. Il reçoit une formation classique, teintée d’anglophobie et d’anti-sémitisme. C’était en quelque sorte la norme à l’époque dans les collèges. Le nationalisme y est aussi en vogue.

Changement de cap lorsque son père meurt et que sa mère s’établit avec lui à Québec, une ville que René Lévesque n’aime pas tellement. Il refuse de s’enrôler quand la Seconde Guerre mondiale éclate, mais ira quand même au front en tant que traducteur et reporter pour l’Armée américaine. «Il parlera de la guerre tandis que d’autres la feront», écrit Poliquin. En 1945, il est embauché par Radio-Canada. 12 ans plus tard, il se fait connaître par tous et par toutes en animant l’émission Point de mire, à la télé. Il rencontre pour la première fois Pierre Elliott Trudeau. «L’un et l’autre désireront un jour la même chose: l’affranchissement total de leur pays, le Canada pour l’un, le Québec pour l’autre. Pierre aspirera de surcroît à soustraire l’individu à la tyrannie du groupe; René dira que si on libère le groupe, l’individu se libérera tout seul».

Poliquin laisse entendre que c’est la grève des réalisateurs, en 1958, qui va vraiment faire de Lévesque un nationaliste convaincu. Le refus du fédéral (donc du Canada anglais) de s’immiscer dans le dossier l’enrage. René Lévesque est désormais Québécois, tout court. Et puis, c’est le saut en politique. Lévesque se fait élire de justesse sous la bannière des libéraux de Jean Lesage en 1960. Il s’illustre comme ministre des Richesses naturelles en menant de front le dossier de la nationalisation de l’électricité. 1964: Lévesque commence à parler ouvertement du projet de souveraineté-association. En 1966, le gouvernement libéral tombe, mais Lévesque garde son siège.

En 1967, création de son Mouvement souveraineté-association.Toutefois, ses disciples, ce sont surtout de l’indépendance complète dont ils rêvent. Commence alors véritablement son travail de capitaine à la barre d’un bateau dont l’équipage parle bâbord, alors que le chef n’est pas si convaincu que soit la bonne route à prendre. Ce navire, il en sera à la barre pendant presque 20 ans. Le Parti québécois est créé en 1968. Aux élections de 1970, Lévesque est défait dans sa circonscription, mais le PQ remporte 7 sièges.

Puis survient la crise d’octobre 70. Lévesque dénonce le terrorisme pratiqué par le Front de libération du Québec. Le problème, c’est que bien des membres du PQ appuient le FLQ. Plus tard, René Lévesque tentera de déresponsabiliser le PQ en disant que Trudeau (maintenant premier ministre du Canada) a exagéré la menace du FLQ en décrétant la Loi sur les mesures de guerre. Il jette donc sur Trudeau le blâme pour l’assassinat du ministre Pierre Laporte. Poliquin s’insurge contre ce révisionnisme et contre le fait que dans les milieux séparatistes, on ne dit plus «l’exécution de Pierre Laporte», mais plutôt «la mort de Pierre Laporte». «René Lévesque, maniant ici le verbe politique avec un peu trop d’adresse, a puissamment contribué à cette opération de blanchiment qui lave le Québec nationaliste et accable le Canada». C’est d’ailleurs ce que pensent encore de nombreux séparatistes aujourd’hui.

Le PQ reste dans l’opposition jusqu’à ce qu’il adopte une philosophie qui plaît à Lévesque: l’étapisme, proposé par Claude Morin. Se faire élire. Bien diriger. Puis, plus tard, ramener le projet de souveraineté sur la table. Moins radical, le PQ l’emporte en 1976. René Lévesque devient premier ministre, même s’il a encore des allures d’étudiant et de bohème. Encore là, Lévesque doit trimer dur pour garder la barre du navire. Il n’est pas chaud au projet de loi 101 sur la langue française. Il va appuyer la mesure, mais l’exode des anglophones et des portefeuilles va en quelque sorte donner raison à ses craintes du départ.

En 1980, le PQ juge qu’il est temps de passer à la prochain étape. Un référendum sur le projet de souveraineté-association avec le Canada a lieu au mois de mai. La question est alambiquée et il y a bien sûr Trudeau qui sort de sa courte retraite. Défaite du camps du «Oui». Lévesque décide de rester chef, une erreur, selon Poliquin: «Lévesque est le joueur qui a beaucoup perdu au casino et qui reste encore un moment pour se refaire».

Lévesque va subir l’humiliation aux mains de Trudeau avec le rapatriement de la Constitution en 1982. Lévesque dira qu’on l’a trahi, mais c’est plutôt lui qui joue mal: «De toute façon, pour celui qui a perdu aux cartes, le gagnant est toujours rien qu’un maudit tricheur». En fait, Lévesque n’a pas plus été trahi qu’il a lui-même déserté ses homologues des autres provinces dans les négociations. Encore là toutefois, René Lévesque saura faire porter le blâme par les autres.

Même s’il se fait de nouveau «déculotter» par Trudeau, il reste. Autre erreur. Puis il y a l’affaire Claude Morin, l’aile plus radicale du parti qui se raffermit, l’arrestation de Claude Charron… Le Québec semble par ailleurs dirigé par des étudiants en économie. Ça va mal. Sur la scène internationale, ça ne va guère mieux. Lévesque n’y brille pas. Et il s’éloigne de plus en plus de la notion d’indépendance. D’ailleurs, a-t-il déjà été indépendantiste? Plusieurs ministres démissionnent. Ce qu’ils ne comprennent pas, toutefois, c’est que les Québécois pensent à peu près comme leur premier ministre. Le bateau prend l’eau.

Dans sa vie privée, ça ne va pas mieux. Lévesque boit. Il arrive saoul à l’Assemblée nationale. Il donne des entrevues qui sont de moins en moins cohérentes. Et passons sous silence sa vie de mari et de père qui aura été loin d’être exemplaire. Le 20 juin 1985, il démissionne sans même avertir son cabinet. Il meurt en 1987. On l’aime plus que jamais.

Poliquin signe peut-être une biographie de René Lévesque qui n’est pas la plus exhaustive, mais il brosse quand même un tableau intéressant de l’homme. L’auteur a aimé Lévesque, mais il n’est pas aveuglé par le mythe qui s’est créé autour du personnage. Lévesque n’est quand même pas un saint homme, loin de là. Lévesque aura accompli de bonnes choses (nationalisation de l’électricité, rapprochement avec les peuples autochtones, transparence au sein du gouvernement, etc.), mais il est responsable d’autant d’échecs (gestion de l’économie douteuse, manœuvres politiques casse-gueule, etc.). Mais son plus grand succès fut peut-être de faire porter le blâme de ces échecs par quelqu’un d’autre (le gouvernement fédéral, Trudeau, etc.).

Poliquin termine enfin son ouvrage avec une attaque en règle contre les indépendantistes purs et durs. S’il a du respect pour René Lévesque, malgré tout ses défauts, il est moins bon à l’égard des Parizeau, Harel ou Marois. Poliquin décrète que «l’ennui, c’est qu’on ne s’est jamais sorti au PQ de cette quête juvénile qui consiste à désirer simultanément l’émancipation du Québec et la prospérité du Canada, et ce, pour des citoyens déjà émancipés et prospères». Un ouvrage qui ne plaira guère aux indépendantistes, même s’il vise assez juste.