A la recherche de Walid Masud
de Ǧabrā Ibrāhīm Ǧabrā, France M. Douvier (Traduction)

critiqué par Débézed, le 18 décembre 2009
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
« Personne n’est jamais sûr de ce que le destin lui réserve »
« … Encore un autre corbeau, et un autre encore, corbeaux, corbeaux, où que mon regard se porte je ne vois que des corbeaux, horribles chocs lorsqu’ils s’écrasent contre les vitres, voilà que même le vent du désert porte des relents de mort. » Ce funeste présage figure sur la cassette que les amis de Walid ont retrouvée dans sa voiture abandonnée après sa disparition dans le désert entre Bagdad et Beyrouth. Car Walid, icône, du monde palestinien entre Jérusalem, Bagdad, Beyrouth et les différentes capitales du Golfe persique, s’est évaporé un jour sans avertir qui que ce soit.

Jawad Husni, son homme de confiance, entreprend de faire revivre Walid à travers les témoignages de ses amis, les quelques mots qu’il a laissé sur une cassette et des morceaux d’un journal intime, pour essayer de comprendre cette disparition. Chacun va alors raconter son Walid : le pauvre Palestinien qui a finalement pris le chemin de l’exil après avoir connu la prison et la torture, le fin lettré, cultivé au contact des moines en Palestine, puis en Italie, qui fera même, avec quelques amis, une tentative d’érémitisme, le combattant impétueux qui ne peux accepter l’injustice, l’homme d’affaires avisé qui a amassé une jolie fortune dans le Golfe et enfin l’amant raffiné et infatigable qui fascine et comble les belles qui hantent la bourgeoises bagdadienne. Son journal vient à point nommé combler les lacunes des amis surtout en ce qui concerne l’enfance à Bethléem cette terre austère et chiche qui a cependant toujours protégé le siens de la mendicité.

A travers cet extraordinaire portrait, Jabra, veut nous donner une image de la Palestine qui n’est pas celle que nous recevions dans les années quatre-vingt quand il a écrit ce livre. Il nous rappelle que cette Palestine que nous identifiions alors trop vite aux terroristes extrémistes, est l’ancienne terre de brillantes civilisations qui ont illuminées l’humanité pour longtemps. Il tente ainsi de construire un pont entre la Sumer de la haute antiquité et la Bagdad des exilés palestiniens qui sont les derniers dépositaires de ces brillantes civilisations doublement millénaires qui ont transité par Babylone, Jérusalem, Beyrouth et tous les foyers culturels du Moyen-Orient qui ont répandu leur culture dans l’ensemble du Bassin méditerranéen au cours de ces deux derniers millénaires.

Ce livre est aussi une tentative pour démontrer que le peuple palestinien occupe cette terre depuis les origines et qu’il est le dépositaire d’une civilisation brillante qu’il fait encore rayonner dans tout le Moyen-Orient et même au-delà. Ce Walid que nous découvrons et qui n’est en fait que la somme des Walid que chacun de ses amis porte au fond de lui, pourrait-être le Palestinien idéal, combattant juste, fin lettré, amant impétueux et ami fidèle. Une sorte de chevalier de l’an mil qui nous rappelle à bon escient que nos preux chevaliers ont acquis une certaine patine culturelle au contact de ces civilisations.

Jabra est aussi un grand poète et son langage est souvent enchanteur, il chante l’amour comme la guerre avec la même fougue, la même foi, le même élan. Ses pages sur les relations amoureuses qui sont très importantes dans ces civilisations claniques sont, parfois superbes mais toujours excellentes. « Tu m’emmèneras chez toi, me montreras le dernier tableau iraquien que tu as acheté, mettras de la musique que j’aime ; tu nous isoleras du reste des mortels, retireras mes vêtements un à un, m’entraîneras dans ton délire. Tu dévoreras mon corps, me tueras avec passion pour que je ressuscite encore. »

Walid, le héraut de Jabra, a aussi sa solution pour sortir la Palestine de l’ornière mais il n’est pas forcément écouté et encore plus rarement entendu. Il appelle de tous ses vœux, de tout son corps, un changement dans l’attitude des Palestiniens pour sortir leur pays du travers dans lequel il est profondément enlisé. « Moi, je vois le changement comme un phénomène jailli de l’intérieur. Un passage de l’asservissement à la liberté. » Walid se sentait un rôle dans l’instauration de ce changement qui « était de nourrir l’âme nouvelle fondée sur la science, la liberté, l’amour, la révolte contre le réformisme musulman… ». Et, il voit la Palestine future comme les femmes que Jabra met en scène, sublimes, libres, qui fument, boivent, font l’amour et occupent des postes prestigieux. Une façon de rappeler que dans les civilisations anciennes les femmes n’ont pas toujours été reléguées au dernier rang de la société et qu’elles ont souvent illuminé au moins Mille et une nuit, sinon plus. Un clin d’œil que Jabra n’hésite pas à faire à ces grands poètes qui ont ensoleillé le passage du précédent millénaire. Et, pour ma part, j’ajouterais bien une petite référence à Gibran car ce Walid est aussi un peu une sorte de prophète nourrit de la foi chrétienne mais aussi initié à des pratiques beaucoup plus paganiques qui plongent leur racines dans la nuit de ces civilisations antiques. N’oublions pas que si Gibran était maronite, Jabra était lui orthodoxe, tous les Palestiniens ne sont pas forcément islamistes comme nous le croyons trop souvent pour simplifier nos jugements.