Un autre Dieu est possible
de María López Vigil, José Ignacio López Vigil

critiqué par Le rat des champs, le 3 décembre 2009
( - 73 ans)


La note:  étoiles
Cent interviews de Jésus
Grand scoop pour la planète, Jésus est revenu !!!! Sans tambour ni trompette, pas même un petit tremblement de terre, non, non, simplement au milieu de la foule à Jérusalem. Rachel Perez, journaliste aux "Émissions latines" reçoit l'exclusivité de ses messages, sous forme d'une centaine d'entretiens sur les sujets les plus variés, de sa mère à l'écologie, en passant par l'avortement et l'euthanasie.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que ça décoiffe. Le texte, typique de la théologie sud-américaine, a été traduit par Gérard Fourez, professeur émérite de philosophie aux facultés Notre Dame de la Paix de Namur, excusez du peu. C'est une théologie radicalement différente de celle à laquelle nous sommes habitués qui nous est exposée avec érudition, intelligence, humour et finesse.

La quatrième de couverture nous donne l'avis de Dom Pedro Casaldaliga, évêque émérite de Sao Felix de Aranguaia (Matto Grosso, Brésil):
"Il y a des théologies qui répondent à des questions que personne ne pose et il y en a d'autres qui s'adressent aux questions que nous nos posons tous. Ces "entretiens avec Jésus-Christ" sont une grande réponse aux inquiétudes, aux déceptions, mais aussi aux espérances de beaucoup de nos contemporains. Ces questions sont abordées avec humour, réalisme et liberté adulte. J'imagine que beaucoup se déchireront les vêtements. Mais vous rendez un grand service au royaume de Dieu et à celui qui le proclame le plus: Jésus de Nazareth."

En postface, la théologienne brésilienne Ivone Gebara n'hésite pas à dire que ce livre est comme un nouveau cours de théologie pour elle, dans lequel on réfléchit à la vie, où on la pense au lieu de la théoriser. Les commentaires que fait Jésus sur son histoire sont tout à fait conformes aux données les plus récentes de la critique historique des évangiles, et la réflexion ainsi créée, d'une audace inouïe, bien que se situant parfois aux antipodes de la doctrine officielle de l'Église catholique, a été vivement appréciée par certains théologiens et non des moindres. Gabriel Ringlet, vice-recteur honoraire de l'université catholique de Louvain l'avoue: "J'aime beaucoup ce genre de textes (j'en ai lu quelques uns) et la fraîcheur de l'approche mérite un bel accueil."

Quelques petits exemples de paroles mises dans la bouche de Jésus par nos auteurs :

"Rien que le fait d'appeler un être humain "Votre Sainteté"est une insulte à Dieu, car Dieu seul est saint", assène-t-il, notamment. Sur l'eucharistie: "Tu ne peux pas enfermer Dieu dans un morceau de pain." Sur la chasteté: "Ce n'est pas possible parce que si tous suivaient ce chemin, ce serait la fin du monde. Dieu ne peut appeler parfait ce qui détruirait sa création." Sur le célibat des prêtres: "Hypocrites! Ils attachent des charges pesantes sur les épaules des autres, mais eux-mêmes ne bougent pas le petit doigt pour les porter. Le royaume de Dieu est une lutte et exige un effort. Mais c'est une fête aussi. Et il convient que la charge soit légère et le joug suave." Sur la punition : "On ne peut croire à la fois en Dieu et en l'enfer. Parce que Dieu est amour. Comment peux-tu penser que Dieu tient prêts une masse de tortures, un lieu de tourment infini pour punir ses enfants désobéissants? Ce ne serait pas Dieu, ce serait Hérode."

Waouw !!!!! Quel punch ! Quelle profondeur de pensée sous l'humour !

Mais il y a bien plus, il y a un repositionnement des évangiles dans un esprit de partage. La proclamation, ce n'est pas celle du royaume des cieux, un au-delà de béatitude après la mort pour ceux qui auraient supporté vaillamment les coups du sort et les prébendes des riches, mais celle du royaume de Dieu, ici-bas, immédiatement. C'est une revendication politique, économique, de justice, de liberté, et de fraternité. Ciel, s'exclameront certains, un Jésus communiste, quelle horreur.

C'est une authentique et indispensable théologie de la libération qui nous est offerte par ces brillants et géniaux auteurs, non seulement vis-à-vis de l'oppression politique et économique mais aussi et surtout spirituelle et dogmatique. Le jésuite Gérard Fourez, traducteur, nous parle d'un retour vers une lecture moins fondamentaliste des textes religieux, permettant de mieux percevoir les vérités universelles du christianisme.

Chacun de ces cent entretiens avec Jésus est à déguster, à méditer, à incorporer. Qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas un pamphlet contre l'Église catholique, mais un cri d'amour lancé vers Dieu, que seuls les esprits chagrins n'apprécieront pas.