Cambodia - The Years of Turmoil
de Roland Neveu

critiqué par Stavroguine, le 2 décembre 2009
(Paris - 40 ans)


La note:  étoiles
Grand grand-reportage
Magnifique livre de photos déniché dans une belle galerie d'art tout droit sortie de Saint-Germain-des-Prés dans les rues de Siem Reap, au Cambodge, l'ouvrage de Roland Neveu est une ode au grand reportage. L'auteur a traîné son Nikon aux quatre coins de la planète, toujours aux moment les plus chauds, couvrant ainsi la guerre entre l'Afghanistan et l'URSS, les événements de Beyrouth ou encore la révolution au Salvador. De 1973 à 1975, c'est au Cambodge que Roland Neveu décide de prendre ses vacances.
Dans ce petit paradis de l'époque, il assiste aux affrontements entre l'armée gouvernementale du nationaliste Lon Nol, supporté par les Américains, et les groupuscules khmers rouges auxquels s'est rallié le roi Sihanouk. Le livre s'ouvre ainsi sur le cliché en petit format d'un orphelin de 6-8 ans, armé d'une pioche avec laquelle il entend bien défendre son pays dans les rangs de l'armée officielle. Roland Neveu nous transmet le témoignage de ces événements et la chute, au fil des pages, de l'armée régulière jusqu'à l'exode - magnifique photo, la plus belle du livre, de la fuite de Phnom Penh sur le boulevard Monivong, juste avant l'arrivée des Khmers Rouges, alors que les journalistes tiennent conciliabule pour savoir quelle position adopter suite à la chute de la ville que chacun sait imminente.
Le deuxième chapitre, consacré à ladite chute de Phnom Penh, s'ouvre donc sur des scènes de liesse. La ville est libérée de la dictature nationalistes et de jeunes khmers, dans leurs uniformes sombres, la khrama à damier nouée autour du coup, sautent dans les rues, sourient aux appareils et gardent les armes des troupes officielles vaincues. Plus loin, déjà, un de leurs comparses, arme à la main sur une moto, ordonne à la population d'évacuer la ville, prétextant sûrement l'imminence des bombardements américains. Dès lors, un nouveau drame commence : la population contrainte à partir, les soldats rendus exécutés sommairement et la population étrangère forcée de se réfugier à l'ambassade de France pour être évacuée. Roland Neveu compte sûrement parmi elle ; il ne reviendra qu'en 1979 pour découvrir avec les troupes vietnamiennes les restes de l'enfer des charniers de Chong Ek et du centre de détention de Tuol Sleng, mieux connu sous le nom de S-21.
Après cette seconde libération, la guerre continue, opposant cette fois les troupes vietnamiennes et les milices cambodgiennes de guerilla à l'improbable alliance des Khmers Rouges et des royalistes qui s'accrochent à leurs derniers bastions, de plus en plus reculés. Sur sa route, Neveu croise des réfugiés dans un dénuement absolu, des veuves et des orphelins, arme à la main et sourire au lèvre, attirés dans un camp ou l'autre par le prestige de ce jouet assassin. Au milieu de ces visages, on retiendra cette femme exposant fièrement les corps des deux énormes serpents qu'elle a capturés et qui nourriront le camp de réfugiés auquel elle appartient, ce chanteur aveugle ou encore ce bouddha affamé.
Et puis, petit à petit, c'est le retour à la normale. La normale, c'est un char qui patrouille encore devant le temple de Angkor Wat, c'est Hun Sen, ancien Khmer Rouge, qui assume les fonctions de Premier ministre, c'est Sihanouk qui reprend le trône, plus populaire que jamais. C'est aussi le drame des mines antipersonnelles qui mutilent jours après jours les enfants cambodgiens. (On estime à entre 3 et 6 millions le nombre de mines encore susceptibles d'exploser à tout moment au Cambodge. Elles ont été massivement bombardées par les Américains pour soutenir Lon Nol ou posées par les Khmers Rouges lors de leur fuite). De son côté, Phnom Penh se repeuple, la misère est toujours aussi présente, les enfants ont abandonné les armes pour travailler dans les rues et au milieu de cette population qui n'a semble-t-il jamais perdu son sourire, même dans les moments les plus sombres, les touristes occidentaux recommencent à affluer à Angkor tandis que l'ONU aide le Cambodge à effectuer son retour dans la famille des nations.
Ce livre raconte tout ça et bien plus, un coup de coeur !