La Galilée de Pierre Loti

La Galilée de Pierre Loti

Catégorie(s) : Littérature => Voyages et aventures

Critiqué par Tistou, le 24 octobre 2009 (Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans)
La note : 9 étoiles
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Récit de voyage

Ce grand voyageur que fut Pierre Loti écrivit énormément de récits de voyage, à l’instar d’un Nicolas Bouvier pour notre époque moderne, qui prennent d’autant plus d’intérêt qu’ils datent de la toute fin du XIXème ou du tout début du XXème siècle. Ce qui ne gâche rien, Pierre Loti a la plume facile et un véritable don pour appréhender un paysage, une situation, et nous les restituer sous la forme littéraire la plus pure.
Cette « Galilée » est particulièrement intéressante de par ce qu’est devenue cette contrée. Pierre Loti a écrit ce texte en 1894, de mi-avril à début mai, relatant la traversée qu’il effectue à mulet depuis Jérusalem jusqu’à Beyrouth. Chrétien agnostique, il est très sensible à ce qui fut la Terre du Christ, une terre bien abandonnée et déshéritée en cette période où l’hypothèse « Israël » n’est même pas encore dans les limbes.

« … si Pierre Loti fut bien pèlerin en Terre sainte, il fut aussi, et sans doute avant tout, un écrivain. Entendons-nous sur ce terme. Ecrivain, il l’était avant d’entreprendre ce voyage au Moyen-orient. Romancier, très exactement, de l’exotisme et des états d’âme féminins, ce qui suffit à lui assurer une gloire littéraire peut-être un peu surfaite. Or ce n’est pas à cet homme-là que nous avons affaire dans ce périple en Terre sainte. Ici plus de langueurs ni de sentimentalité de circonstance. Le style se fait sec, précis, et lorsque le lyrisme cher à l’auteur – et à l’époque – retrouve ses droits, c’est le plus souvent pour traduire une émotion d’ordre spirituel. »

Pierre Loti relate donc le cheminement de sa petite caravane, avec un compagnon, un guide arabe et des muletiers. De Jérusalem quittée sous la pluie et le froid, par les étendues vides et herbagées de la Galilée, puis le désert, Damas, l’Antiliban et enfin Beyrouth. C’est à la fois un témoignage émouvant sur les pratiques de l’époque, sur cette Terre autrefois bénie d’un Dieu et qui ne semble plus qu’arpentée par quelques tribus bédouines. Il était certainement plus facile d’effectuer ce périple à l’époque qu’à la nôtre.
Un échantillon de sa prose, une des plus élégantes qui soit, à mes yeux :

« J’ai parcouru la triste Galilée au printemps, et l’ai trouvée muette sous un immense linceul de fleurs. Les ondées d’avril y tombaient encore, et elle n’était qu’un désert d’herbages, un monde de graminées légères, prenant vie nouvelle au chant d’innombrables oiseaux. Les grands souvenirs, les débris, les ossements semblaient plus profondément y sommeiller, sous ce silencieux renouveau des plantes, - et j’ai voulu, dans mon récit, les remuer à peine. Aux approches de Nazareth et de la mer de Tibériade, le fantôme ineffable du Christ deux ou trois fois s’est montré, errant, presque insaisissable, sur le tapis infini des lins roses et des pâles marguerites jaunes, - et je l’ai laissé fuir, entre mes mots trop lourds … »

Et que dire de sa conclusion, de son « testament » concernant cette contrée !

« Au départ, on nous l’avait dit : « Jérusalem, la Galilée … le Christ n’y est plus … » Et en effet, dans toute cette erre sainte, nous n’avons guère trouvé que la profanation, ou bien le vide et la mort. Bientôt du reste, on l’aura tellement changé et détruit, ce berceau du monde, que nos fils ignoreront quels étaient sa tristesse délicieuse et son antique mystère ; et le peuple arabe, qui depuis tant de siècles nous le gardait – sous un joug hostile, il est vrai, mais immobilisant et à peine destructeur – le peuple arabe, le peuple du rêve s’en va lui-même, et si vite ! devant l’invasion dissolvante et mortelle des hommes d’Occident … » (rappelons que ce fut écrit en 1894)
« Et nous entrevoyons bien les lugubres avenirs, les âges noirs qui vont commencer après la mort des grands rêves célestes, les démocraties tyranniques et effroyables, où les désolés ne sauront même plus ce que c’était que la prière … »

D’une actualité brûlante ce Pierre Loti !

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