Le pèlerin du coeur
de Panaït Istrati

critiqué par Débézed, le 15 octobre 2009
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
Le Gorki des Balkans
«Toute une vie brûlée inutilement ! Sur toutes les routes, j’ai laissé des gouttes de sang, des lambeaux de chair et surtout des lambeaux de ma dignité. » Panaït Istrati, le Gorki des Balkans comme le surnommait Romain Rolland, aurait eu cent ans en 1984 et son éditeur, en cet honneur, a publié « ce volume de textes autobiographiques qui reconstituent sa vie de vagabond et d’écrivain. Ce sont des pages en grande partie inédites ou publiées dans la presse de l’époque, inconnues du lecteur d’aujourd’hui. »

Ces textes sont rassemblés en cinq parties concernant, des documents autobiographiques, la naissance de l’écrivain, des témoignages sur la liberté, la foi, les arts, l’humanité, le pèlerin du cœur (des hommages rendus à des amis disparus) et pour finir « les dernières années », des textes en forme de testament ou de bilan sur sa vie d’errance et de quête.

Cette habile compilation de textes autobiographiques dessine assez précisément la vie particulièrement agitée de Panaït Istrati qui connut une enfance difficile avec un père absent et le travail dès la prime adolescence avec son lot de douleur, de brutalité mais aussi les combines, la fauche, le chapardage et toutes les astuces pour survivre dans la jungle industrielle de la fin du XIX° siècle. Cette vie impossible incite à l’exode, les voyages vers la capitale, en Egypte, ou ailleurs encore qui se solde toujours par un retour désastreux près de la mère. Une jeunesse en forme d’initiation qui lui donne le goût de la liberté, de l’indépendance et des grands espaces. « Celui qui est né sans ciel et a grandi sans espace, …, ne peut pas approfondir l’abîme de l’existence. »

Mais cette vie de liberté a un prix qu’il paie au prix fort, celui de la maladie, la tuberculose, qui l’accompagnera tout au long de son existence et qui finira par le vaincre peu après la cinquantaine. « Et encore une fois je songerai à mon sort, qui me faisait si chèrement payer le rayon de soleil qui réchauffait ma dure liberté. » Sa rencontre avec Romain Rolland lui apportera une bouffée d’oxygène et lui procurera une parenthèse de bonheur dans sa vie de douleur au cours de laquelle il dut toujours travailler pour assurer sa subsistance et celle des siens. Mais sa fascination pour la lecture dès l’enfance et la littérature française dès l’adolescence lui permirent d’apprendre rapidement le français et comme le lui disait Romain Rolland : « Vous écrivez en français après six ans de pratique sans avoir consulté une grammaire : c’est phénoménal ! » Il sera finalement reconnu et publié mais les critiques suivront vite les succès et l’admiration car Istrati se voulait indépendant et juste, toujours du côté de celui qui souffre, «j’ai tiré de ma poche le morceau de pain chaque fois que j’ai vu un homme ou un chien qui avait faim. »

Socialiste pendant les luttes syndicales en Roumanie au début du siècle, il sera l’un des premiers à faire « le voyage de retour de l’Union soviétique » déçu par ce pouvoir qui assassinait les pauvres et les miséreux. Il finira sa vie en tentant de faire une synthèse, bien téméraire, entre le catholicisme et le communisme. « Nous chasserons les pharisiens de l’Eglise chrétienne et les fous de la maison communisme. » Bien peu le suivront sur ce chemin pavé de bonnes intentions mais semé d’embuches et il se réfugiera dans l’art, vénérant le beau qui est si rare mais qui doit servir la cause des plus nécessiteux. « L’Art ne doit servir, en premier et dernier lieu, qu’à alléger la souffrance de l’humanité. Il n’est pas un but mais un moyen. »

Et, il finira sa vie dans sa Roumanie natale et dans l’aigreur, retrouvant sa foi en Dieu, car les hommes n’ont pas été capables de réaliser le beau et le bien et se sont cantonnés dans leurs petits intérêts personnels et n’ont pas su regarder le soleil. « Que de tremper mon pain dans du beurre et regarder à mes pieds, j’aime mieux le tremper dans du sel et regarder le soleil. »