Un homme est mort
de Kris (Scénario), Étienne Davodeau (Scénario et dessin)

critiqué par Dirlandaise, le 7 octobre 2009
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
"Ça donne envie de pleurer et ça donne envie de se battre !!"
Il nous passe parfois entre les mains de tels chefs-d’œuvre qu’après en avoir refermé la toute dernière page, on se demande comment faire pour en parler, pour en faire une critique à la hauteur de l’œuvre et de son propos. Tel est mon cas avec cette bande dessinée qui m’a tout simplement bouleversée.

Je résume l’histoire : en 1950, un cinéaste engagé, René Vautier, reçoit une lettre du syndicat des ouvriers de Brest, le C.G.T., section brestoise du bâtiment, lui demandant de venir filmer les troubles et la révolte ouvrière faisant rage à Brest suite à l’arrestation arbitraire de Marie Lambert, députée communiste de Landerneau, Charles Cadiou, secrétaire de l’union locale de la C.G.T. et Raymond Bucquet de la C.G.T. bâtiment. Les ouvriers sont rejoints dans leur grève par les dockers, les traminots et ceux de l’arsenal, paralysant ainsi toute l’activité de la ville en pleine reconstruction suite aux ravages de la guerre. René Vautier revient d’un voyage en Afrique et débarque à Brest au lendemain d’un terrible affrontement entre les forces policières et les grévistes, affrontement au cours duquel un militant du C.G.T. perd la vie, tué d’une balle en plein front. Le chef du syndicat demande au cinéaste de filmer la réalité ouvrière de la ville ainsi que les funérailles d’Édouard Mazé. René Vautier doit se montrer prudent car il est recherché par la police. Il se voit affublé d’une escorte en la personne de deux ouvriers, Désiré, et Ti Zef. Les trois hommes s’acquitteront de leur mission malgré les conditions de travail très difficiles et les moyens financiers pratiquement nuls. Leur film d’une durée de douze minutes sera projeté dans tous les chantiers de la région. Le son étant inexistant, René Vautier a l’idée d’enregistrer le poème de Paul Éluard « Un homme est mort » et de le mettre comme fond sonore. Le poème donnera aussi son nom au film. Tous ceux qui ont la chance de voir ce film en ressortent profondément émus et révoltés. Paul Éluard, ayant entendu parler de ce fait, demande à René Vautier de venir à l’Élysée afin qu’il puisse lui aussi visionner le film mais malheureusement la pellicule est trop usée pour permettre d’autres projections et aucune copie n’existe. Paul Éluard n’aura droit qu’à un enregistrement de son poème récité par Ti Zef qui, emporté par l’émotion, en a changé presque tout le texte mais l’a déclamé d’une façon si admirable que Paul Éluard a du mal à s’en remettre.

Et moi aussi j’ai du mal à me remettre de cette lecture si émouvante ayant pour thème la révolte ouvrière face à la répression sauvage de l’État et de sa force policière. Cet album a nécessité quatre années de recherches, d’enquêtes et de travaux à Kris pour en venir à bout. Étienne Davodeau a bien entendu été chargé des dessins qui me plaisent bien avec leurs couleurs douces, presque délavées, dans les tons de rouge, de gris et de brun. Il est si humain quand il dessine ses personnages et c’est très agréable à regarder. L’album est bien entendu inspiré du film de René Vautier, qui n’existe plus mais dont quelques images ont été retrouvées miraculeusement par les auteurs. Il faut dire que ce projet a été mis au monde par Gilbert Le Traon, directeur de la Cinémathèque de Bretagne.

Un dossier de Pierre Le Goïc, docteur en histoire contemporaine et chercheur associé au Centre de recherche Bretonne et Celtique, placé à la fin du livre, explique le contexte historique et le déroulement des événements. D'autres documents retracent la genèse du projet, les étapes de sa réalisation et le rôle joué par les différents intervenants. Plusieurs photos d’époque viennent épauler le texte, ajoutant beaucoup d’intérêt au sujet.

J’ai beaucoup aimé cette lecture car elle m’a sensibilisée à une lutte ouvrière virulente et très dure menée à l’époque et m’a fait connaître le cinéaste engagé René Vautier, un personnage plus qu’intéressant dont l’œuvre et la vie feront l’objet de mon attention dans les semaines à venir. Avant de lire la bande dessinée, j’ai lu toute la section documentaire et je conseille aux lecteurs de faire de même afin de bien situer les personnages et le contexte des événements.

Encore une fois, impossible pour moi de retrancher ne serait-ce qu’une moitié d’étoile à un travail aussi admirable et méthodique. Je ne peux que féliciter Étienne Davodeau dont je connais bien le talent et aussi Kris pour leur belle complicité qui nous a donné ce magnifique album.

« Avant de libérer le gendarme de ce mauvais pas, j’ai pris son mousqueton et j’en ai cassé la crosse sur la bordure du trottoir. Ironie du sort ! Quelques temps après, un tir de gendarme m’atteignait à la jambe gauche. Je n’avais pas vu le coup venir. J’avais seulement entendu quelqu’un crier : « Couchez-vous ! Ils vont tirer ! » Mais moi, j’étais déjà tombé, le mollet déchiqueté, le péroné fracassé et l’artère poplitée cisaillée. Pendant que j’attendais les secours, perdant mon sang en abondance, un camarade m’a dit : « Un homme est mort ! » C’était Édouard Mazé. » (Témoignage de Pierre Cauzien, ouvrier de l’arsenal de Brest et simple militant de C.G.T.)
Déçu... 5 étoiles

Jolie BD mais un peu déçu tout de même car je pensais que le thème principal était les émeutes de Brest de 1950, au cours desquelles un militant perdit la vie.
Mais la BD est plutôt un hommage rendu à Mazé (le militant tué par la police) et aux militants qui ont vaillament lutté au cours de ces jours de grève et l'histoire du film réalisé par Vautier, cinéaste militant de l'époque.
J'ai également trouvé que l'histoire manque de souffle, de panache et de nuances.
En résumé, une vraie déception surtout après avoir lu les opinions des lecteurs sur ce site et sur d'autres...

Bebmadrid - Palma de Mallorca - 44 ans - 22 janvier 2012


Excellent travail !!! 10 étoiles

Comme beaucoup de fans de bandes dessinées, je connais Etienne Davodeau depuis longtemps. Il s’agit d’un auteur atypique, une sorte de reporter social qui rapporterait des images dessinées et non filmées ou photographiées. Certains de ses ouvrages nous ont touché de plein fouet et rien ne sera plus comme avant quand on nous parlera de grève, de délocalisation, de pression sociale, d’engagement syndical… S’il fallait garder quelques titres en tête, en ces périodes de fête, je dirais « Rural ! », « Les mauvaises gens » et cet album « Un homme est mort ». Ce pourrait être, d’ailleurs, en parlant de ce dernier, une excellente idée de cadeau…

La première chose qui me touche dans cet album est le lieu. Oui, si Brest pour certains d’entre vous est une ville située à l’Ouest de la France, une évocation de poème ou chanson de Prévert, c’est pour moi ma ville universitaire. Or à cette époque, c’est vrai que je ne suis plus tout jeune, il y avait encore à Brest des maisons provisoires, des bâtisses en bois qui avaient servi à loger les habitants restants et ceux qui étaient venus reconstruire la ville. N’oublions pas que la ville a été martyrisée durant le second conflit mondial. Du néant une ville moderne est sortie en une vingtaine d’année et l’histoire proposée par Kris et Davodeau est celle d’un épisode de cette reconstruction. Je ne pouvais qu’être séduit car je connaissais bien les lieux…

Le second point essentiel de ce livre, c’est qu’il n’y a pas là de super héros mais les acteurs de la vie quotidienne : des ouvriers « quelque peu » exploités, leurs familles, les forces de l’ordre pas souvent bien encadrées et beaucoup manipulées, les politiques, les syndicalistes et un homme, un caméraman, prêt à témoigner. Cet homme de l’histoire existe bien, c’est René Vautier. Cet être lui seul mériterait une chronique car il fut en quelque sorte l’âme des reporters français tout au long des conflits coloniaux, en particulier en Algérie. Cette bande dessinée est l’histoire du tournage d’un de ses films, « Un homme est mort », film qui va disparaître et que nous ne pouvons plus voir aujourd’hui… Comme il le dit en fin d’album : « Je pensais vraiment qu’il ne reverrait jamais le jour… et je n’aurais jamais imaginé que ce serait sous la forme d’un livre de bande dessinée ! » mais aujourd’hui, la bédé peut même venir en aide au cinéma. Etonnant, non ?

Je laisserai chacun découvrir l’histoire de ce conflit social qui va coûter la vie à un homme, qui donnera l’occasion de mesurer que le cinéma peut jouer un rôle important dans le lien social et qui permettra de mettre à l’honneur un poème de Paul Eluard.

Pour le reste – et ce n’est pas rien – prenez le temps de profiter pleinement de cette narration graphique simple et diablement efficace qui fait d’Etienne Davodeau un des meilleurs reporters dessin qui soit…

Shelton - Chalon-sur-Saône - 67 ans - 14 décembre 2011


"il pleuvait sans cesse sur Brest...." 9 étoiles

Comment transformer une mort presque anonyme (ayant pourtant fréquenté Brest pendant presque 20 ans, je n'avais jamais entendu parler d'Edouard Mazé) en une épopée flamboyante.
C'est le pari de trois hommes : Kris, Etienne Davodeau et René Vautier, "le cinéaste franc-tireur".

Davodeau a un talent qui n'est pas donné à tout le monde, celui de prendre parti intelligemment dans toutes ses bandes dessinées. L'alchimie entre ces deux auteurs (Kris et Davodeau) nous offre un témoignage engagé, sur les luttes syndicales féroces dans une ville de Brest où " tout n'est plus pareil et tout est abîmé" (comme l'écrivait Jacques Prévert), méconnaissable (d'où la réaction de René à sa descente du train) en pleine transformation (je devine d'ailleurs dans la présentation faite au cinéaste, page 23, la ville d'aujourd'hui) dans les années d'après guerre. Il est des livres qui font un travail de mémoire, "la mort d'un homme" est de ceux-là. Outre le dossier fort bien documenté à la fin , il ne faut pas oublier que la période de l'après guerre fut dominée par des conflits sociaux d'une rare violence ( d'où la création en 1947, de la Compagnie Républicaine de Sécurité - les CRS- ), inimaginable aujourd'hui. Et là, à Brest ce 17 avril 1950, un homme est mort...

"Un homme est mort" sonne comme une litanie tout au long de ce livre.
Après "rural" et"les mauvaises gens ", c'est encore un chef-d’œuvre que nous livre Davodeau (n'oublions pas Kris, au scénario) chez Futuropolis, décidément très prolixe en petits bijoux (Le sourire du clown, Les petits ruisseaux).

Un très beau travail à tout point de vue : dessin, scénario, recherche documentaire.
Ici, l'émotion succède au rire, la révolte au désarroi.

Aventure d'un film, dont, tout comme la ville de Brest, « il ne reste rien »... sauf ce témoignage.

Hervé28 - Chartres - 54 ans - 4 septembre 2011


Sur la force du film documentaire 7 étoiles

Peu de gens (dont moi avant la lecture de "Un homme est mort") ont en mémoire la grande grève qui a eu lieu à Brest en 1950. Tout en rendant hommage aux victimes de cette grève, cette BD raconte l’histoire d’un film documentaire militant par le cinéaste militant René Vautier, qui a à sa façon contribué à soutenir la lutte syndicale de ce mouvement négligé par l’Histoire officielle. Un petit film court et fragile au destin particulier que le monde ouvrier s’est approprié afin de faire entendre sa voix. L’histoire se situe donc entre la fiction et le documentaire (tous les personnages ont existé). A une époque où la guerre froide venait de succéder à la seconde guerre mondiale, où le mouvement communiste était à son apogée même si les méfaits de Staline commençaient à être connus, la répression des autorités extrêmement féroce n’entama en rien la détermination du peuple ouvrier brestois dans son combat pour de meilleurs salaires et contre l'injustice.

Davodeau et Kris rendent un bel hommage aux protagonistes de cette lutte, on sent qu’il y a un gros travail de documentation derrière. De son coup de crayon élancé, Davodeau restitue avec sensibilité l’atmosphère et l’état d’esprit de ce mouvement populaire. La mise en couleur est élégante et les teintes rouges–sépia conviennent bien au récit. Et pourtant curieusement, même si je trouve la démarche éminemment sympathique et que j’ai eu du plaisir à lire cet ouvrage, je suis resté sur ma faim. Il manque quelque chose à cette histoire et j’ai du mal à l’expliquer. En fait, je me demande si le format de 63 pages est adapté à une histoire comme celle-ci, d’autant que Kris le scénariste dit avoir travaillé à ce projet pendant quatre ans ! Comme si la BD ne se suffisait pas à elle-même, une dizaine de pages de reportages et de témoignages accompagnés de photos succèdent au récit illustré (CQFD ?)…

Pour le reste, je trouve ça très bien de publier ce genre de choses sur des événements que l’Histoire, la « grande », la « sérieuse », la bien-pensante, cherche à faire oublier, au même titre que la Commune ou plus récemment le combat des ouvriers de Lip à Besançon dans les années 70. A lire donc, pour tout homme ou toute femme de gauche qui se respecte.

Blue Boy - Saint-Denis - - ans - 21 mai 2011


Un homme est mort ... pour rien! 10 étoiles

Un homme est mort est une BD de KRIS et DAVODEAU qui retrace les grèves dures des années 50 sur fond d'après guerre et de guerre froide.
Elle met en valeur la solidarité des travailleurs et la dureté de l'état pour contrer le mouvement gréviste.
Ces grèves sont les prémisses à bien d'autres qui suivront et qui déboucheront sur des avancées sociales.
Qu'en est-il aujourd'hui? Tout ce que ces hommes et ces femmes ont réussi à gagner, parfois au prix de leur vie, part en fumée. Aujourd'hui les gens manifestent pour l'ouverture des magasins le dimanche (pauvre France).
Alors un homme est mort... pour rien

A lire et à retenir

Thierry13 - - 52 ans - 11 octobre 2010