Paroles de Verdun, 21 février 1916 - 18 décembre 1916 : Ou le jeu de l'oie en BD
de Jean Wacquet

critiqué par Dirlandaise, le 20 septembre 2009
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
Comme si Dieu n'existait plus...
Approchez… approchez… Venez jouer au terrible jeu de l’oie de la bataille de Verdun, un jeu horrible, absurde qui vous fera parcourir un itinéraire jonché de cadavres dévorés par les rats, de boue, de pourriture, d’obus, de tranchées, de misère humaine sans nom, de désespoir, de peur, de faim, de soif, de maladies, d’épouvante, de folie, bref un chemin d’apocalypse absurde car après l’avoir parcouru, vous ne pourrez même pas vous dire que vous êtes parvenu à la fin de cette route démoniaque car vous n’atteindrez jamais la fin, vous retournerez cyniquement à la case départ !

Cet album conçu et dirigé par Jean Wacquet nous propose en effet, un parcours au cœur de la bataille de Verdun qui a duré dix mois soit du 21 février 1916 au 18 décembre 1916. Inspiré de l’ouvrage original de Jean-Pierre Guéno, M. Wacquet nous propose sept cases à parcourir, chaque case constituant un chapitre dans lequel on retrouve deux, parfois trois textes, chacun illustré par les meilleurs auteurs de bande dessinée de l’heure. Les textes sont des lettres et des poèmes de poilus tirées de l’ouvrage de M. Guéno et aussi des textes d’écrivains connus dont Jean Giono entre autres. Chaque texte est suivi de sa version illustrée et chaque texte s’est vu assigner un dessinateur différent. Parmi ceux-ci, on retrouve Dominique Bertrail, Nicolas Nemiri, Stéphane Lavallois, François Boucq, Pascal Rabaté, George Pratt, David B. et bien sûr, mon Christophe Chabouté bien-aimé et d’autres. L’ensemble constitue une vision très variée de ce que fût cette bataille terrible au cours de laquelle tant de soldats français ont perdu la vie.

Je ne peux pas commenter tous les textes alors je vais parler de ceux que j’ai préférés ainsi que de leur illustrateur. Dans le premier chapitre, j’ai beaucoup aimé les dessins précis et détaillés de Christian Rossi illustrant la mort de Driant. Pas de couleurs éclatantes mais des teintes délavées de jaune et une touche de rouge suffisent à nous plonger dans une atmosphère glauque et désespérante.

Au deuxième chapitre, un texte m’a particulièrement émue. Il s’agit d’un poème écrit par un poilu prénommé Maurice et illustré par Loïc Godart. Le poème est intitulé « Je t’aime !... » et raconte les peurs et le désespoir d’un jeune soldat qui n’a pas encore connu ce que c’est que l’amour d’une femme et ne le connaîtra sans doute jamais…

Dans le même chapitre, un texte intitulé « Dans un quart d’heure… » magnifiquement illustré par Stéphane Levallois raconte l’histoire d’un soldat qui fait l’amour à une femme dans une auberge minable et qui doit remonter en ligne dans un quart d’heure. Les scènes érotiques sont particulièrement réussies.

Tous les textes de Jean Giono sont admirables. Certains sont si terribles que j’ai dû interrompre ma lecture pour pouvoir reprendre mon souffle et continuer. Je pense entre autres au texte intitulé « C’est l’admirable bataille de Verdun », illustré par mon Chabouté qui a fait un très beau travail. Je pense aussi au texte terrible de Giono « C’étaient des morts frais, des fois tièdes… » absolument insoutenable et illustré de façon percutante par George Pratt.

Il y aurait tant à dire sur ce chef-d’œuvre mais je dois m’arrêter bien que l’envie ne me manque pas de continuer à vous décrire le contenu de cet album inoubliable qui mérite, à mon avis, bien plus que cinq étoiles. Je lui en donnerais dix si j’en avais la possibilité. À lire absolument mais attention aux âmes sensibles car cauchemars garantis…

La préface de cet album est de Jean-Pierre Guéno. Il a été coordonné par Clotilde Vu. Les illustrations de chapitre sont de Thierry Martin et la couverture est une oeuvre de Mathieu Lauffray.

« C’est le jeu de l’oie de la Grande Guerre : jeu de l’enfer et du hasard : il vous faudrait arriver à la case 63 pour gagner. Marcher au pas des oies, les oiseaux du destin. Oiseaux de mauvais augure…agents de liaison entre le ciel et l’enfer… 1914, 1915, 1916, 1917, 1918 : c’est comme si Dieu n’existait plus. C’est à n’y rien comprendre. C’est comme si la vie ne dépendait plus que du hasard d’un coup de dés… »