Le soir du chien
de Marie-Hélène Lafon

critiqué par Amathieu, le 19 décembre 2001
(Clamart - 54 ans)


La note:  étoiles
Prix Renaudot des lycéens 2001 : la différence
« L'écrivain n’appartient plus au domaine magistral où s’exprimer signifie exprimer l'exactitude et la certitude des choses et des valeurs selon le sens de leurs limites. » M. Blanchot
« L'idée de personnage, comme la forme traditionnelle du roman, n'est qu’un des compromis par lesquels l’écrivain, entraîné hors de soi par la littérature en quête de son essence, essaie de sauver ses rapports avec le monde et avec lui-même. » J. Bousquet
« Le soir du chien » est un témoignage. Témoignage d'une trahison, témoignage d'une conspiration, d’hommes qui parlent d'hommes, de femmes qui parlent de femmes, et à la seconde page, l’on sait qu'il s’est passé quelque chose comme une rupture ou une fracture : « Comme moi, quand elle. » Un témoin nous raconte les gens, les coutumes, les générations qui se succèdent, Marlène, cette inconnue porteuse de l’errance étrange de la vie silencieuse, transporte cette vie et cette mort avec ce sens inquiétant qui bouleverse les habitudes mais qui, à la folie meurtrière préfère la folie ordinaire, une âme qui se sent à une portée de pas de l’obscurité mais qui n'ose pas franchir le seuil de l’inconnu et s'y disperser aux vents. Laurent, captif de son histoire et de sa mémoire, écoute défiler les regrets et les espoirs des autres et de lui-même, sans élan, sans remords, sans violence. Mais parfois, l'on sent cette liberté de témoin impassible s’échapper, se fracturer, se glisser hors de sa prison pour crier : « Laurent dit que la lumière mange tout ; elle dévore les pays. » Le crépuscule de la bête, le couchant de l'infâme, livre de la rupture, crépuscule de la trahison, dénonciation d’une France profonde et enracinée dans son histoire qui la submerge, qui la dépasse et qui la prend en otage dans son face à face avec l'Homme et ici, écrire n’est plus l'incision, la profonde blessure qui se sert d’elle-même pour dépasser sa douleur mais est le moyen de couper les corps, de découper les décors d'un paysage sauvage et sans histoire, moyen pour crier sa différence. Et elle crie cette différence, elle le crie à chaque virgule, à chaque point virgule, dans le nombre impressionnant de personnages qui viennent témoigner de cette fâcheuse tendance qu’ont les êtres de ne point supporter la différence, comme ces talkshows modernes, qui distribue les cartes d’un poker truqué à l’avance. Les phrases s’abattent comme ces cartes sur une table trop lisse et parfois tombent. Elles tombent dans une dimension que seul l'écrivain peut connaître, seul lui peut savoir où elles vont frapper dans le coeur. Car elles frappent, elles giflent l'impudence d'être sans relais, elles saccagent les mauvaises langues. Ecrire est un projet de soi-même à travers la langue ou inversement, inéluctablement. Crier à tout vent sa différence, sans cesse et à tout point de vue, peut faire parfois oublier que tout ce qui fait sa différence ne tient pas dans une définition fixe, l'esprit est mouvant malgré la mémoire, elle est une définition, certes, mais comme toute définition celle-ci renvoie à une autre définition et ainsi, dans la suite, la différence n'est plus présente, elle est (la)présence. Mais quelle présence ?
les gens de peu 8 étoiles

"Le soir du chien" raconte l'histoire d'amour ("Elle m'a parlé ; très vite, elle m'a parlé, dans une langue comme neuve, qu'elle semblait se découvrir. J'écoutais. Elle ne me regardait pas, ne me touchait pas. Elle se laissait regarder ; je ne la touchais pas. Je la buvais, sans la désirer comme désirent les hommes, avec le ventre") entre Laurent, l'électricien cantalou et Marlène, née d'une fille-mère et élevée par ses grands-parents. Tout semble aller bien entre eux ("Nous avions été tellement miraculeux, si peu habitués, si flamboyants l'un à l'autre dans le frottement de nos solitudes"), bien qu'ils se comportent différemment des couples habituels (pas d'enfant par exemple, au grand désarroi des autres habitants : "Eux ils ont l'air à l'aise ; évidemment, sans enfant, on pense à soi, et c'est tout"), jusqu'au jour où Marlène succombe devant le vétérinaire, qui pourrait être son père pourtant : mais justement, n'ayant pas eu de père, c'est sans doute au fond ce qu'elle trouve en lui.
Un beau roman sur les gens de peu.

Cyclo - Bordeaux - 78 ans - 18 juillet 2019


Une vie de chien ! 6 étoiles

Marie-Hélène Lafon (1962- ) est un professeur agrégé et écrivain français.
Son premier roman, "Le Soir du chien", a reçu le prix Renaudot des lycéens (2001)

Dans un petit village du Cantal, Laurent -le narrateur- succombe aux charmes de la jeune et belle bibliothécaire, Marlène.
Ils s'installent rapidement dans le haut du village, à l'écart des rumeurs et des jugements.
Un soir, alors que son chien est renversé par une voiture, Marlène fait chavirer le coeur du vétérinaire.
Ce notable plaque femme, enfants et clientèle pour construire une vie nouvelle, loin des conventions et jugements.
Commence alors pour Laurent une vaste interrogation sur les raisons de la rupture.

"Je ne suis pas dans l'exil de la chair des femmes; j'ai des occasions de peau.Je ne ressemble pas aux autres hommes.Celles qui me veulent le savent; je me prête. Elles sont mariées. Elles se cachent; elles se font rêver. Je suis dans l'exil du sentiment, de l'amour même. Je suis comme un veuf".

Un agréable moment de lecture mais dont l'intensité est sans rapport avec "L'annonce" et "Joseph".

Frunny - PARIS - 58 ans - 11 novembre 2017


Mouais ... 6 étoiles

Pas trop d'intérêt, peu de matière, une histoire banale, une écriture qui ne sort pas du lot, des personnages pas attachants.

Et puis ces passages en italiques qui ne donnent jamais voix à la même personne ; impossible même parfois de savoir de qui il s'agit.

Maylany - - 43 ans - 31 janvier 2009


Prendre ses fantasmes pour de la littérature 3 étoiles

L'histoire en deux mots: depuis un petit village du Cantal, Laurent raconte son amour fou pour Marlène, une jeune femme aussi belle qu'énigmatique et, comme chacun le sait, les histoires d'amour finissent mal… Sans commentaires.
Un roman tient moins dans son intrigue que dans son style, me direz-vous. Eh bien parlons-en: à ne pas trancher entre réalisme et stylisation, l'auteur décrédibilise totalement son univers. Nous avons affaire à de petites gens de province qui parlent comme des lettrés soucieux de poétiser leur langage, si bien qu'on ne croit ni à leurs personnages ni aux sentiments qu'ils expriment.
C'est que cet univers n'en est pas un, c'est simplement le fantasme d'une jeune fille… allez, soyons généreuse, de quinze ans. L'héroïne de Marie-Hélène Lafon s'appelle Marlène… Ecoutez bien: Mar-lène… Mar(ie-Hé)lène. Vous y êtes, c'est un double de l'auteur qui s'offre le prénom de la Dietrich en signe de l'idéalisation démesurée dont elle va être l'objet. Car l'auteur n'y va pas de main morte ; sa Marlène, c'est le fantasme de toute adolescente : somptueusement belle, merveilleusement énigmatique, objet du désir de tout Homme digne de ce nom, elle passe de l'un à l'autre sans même qu'on lui en veuille.
Il est vrai que l'on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, mais l'écrivain doit, me semble-t-il, démêler le fantasme de la réalité et s'interdire de faire passer le premier pour la seconde. George Sand compensait jadis l'invraisemblance de ses idylles champêtres par une sublime poésie de la nature. Souhaitons pour Marie-Hélène Lafon qu'elle trouve aussi une solution à ce problème, si elle ne peut s'empêcher de continuer à prendre ses fantasmes pour de la littérature.

Reginalda - lyon - 57 ans - 7 juin 2006