Les lapins et les boas
de Fazil Abdulovič Iskander

critiqué par Débézed, le 22 août 2009
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
"Notre peur, c'est notre hypnose..."
Renart fut peut-être l’un des premiers à dénoncer la perversité des tenants du pouvoir, du moins dans la littérature française, mais depuis il a eu de nombreux successeurs dans le règne animal et sous divers cieux. Et, dans les petites républiques caucasiennes, si agitées actuellement, Fazil Iskander a inventé, dans un hypothétique pays africain, un royaume où les lapins et les boas cohabitent selon une bien étrange règle tacite. Les boas mangent les lapins après les avoir hypnotisés et les lapins se multiplient le plus vite possible pour perpétuer leur espèce au détriment des indigènes dont ils pillent les jardins.

Mais ce bel équilibre est chamboulé quand un lapin plus malin que les autres constate que « votre hypnose, c’est notre peur. Notre peur, c’est notre hypnose. » Et, donc sans peur, il n’y a plus d’hypnose et les boas ne peuvent plus manger les lapins. Le lapin intelligent a grippé la belle machine et détruit le fragile équilibre qui présidait au pays des boas et des lapins.

Iskander a ainsi, lui aussi, utilisé le bestiaire pour critiquer, à visage masqué, le système politique qui gouvernait l’Union des républiques socialistes et soviétiques à cette époque. En mettant en scène les systèmes sociaux des boas et des lapins, il a stigmatisé toutes les tares que l’on attribue habituellement à ce régime : la terreur, la délation, la flatterie, l’appât du gain, l’usage éhonté du pouvoir, la cupidité, la manipulation, etc… Mais, cette satyre déborde largement le système soviétique et peut s’appliquer à la rigueur un peu aveugle de nos républiques démocratiques et même aux méthodes managériales de bien des entreprises ou autres organismes contemporains.

Toutefois, ce texte n’est pas seulement un pamphlet politique, il est, avant tout, comme c’est indiqué en sous-titre : « un conte philosophique » qui soulève la question du pouvoir et de son exercice dans une organisation sociale quelconque. Et, il veut, surtout, débattre de la vérité et de son usage, « nous avons besoin d’un repère aussi dur que le diamant et la vérité est là ». Cependant, la vérité n’est pas toujours bonne à dire car il faut maintenir une certaine angoisse pour que les populations conservent une saine inquiétude qui maintient un bon instinct de conservation collectif. « Telle est la vie, telle est la loi du renouvellement de l’angoisse. La loi de l’autoconservation de la vie. » Si, la vérité est nécessaire, « il ya peut-être quelque chose de supérieur à la certitude, c’est l’espoir ». Et, cet espoir, il n’est pas évident qu’Iskander l’avait encore en écrivant ce livre à l’humour grinçant et au pessimisme fataliste. Les lapins, pas plus que les boas, ne sortirent de leur médiocrité et les hommes n’oublièrent, pas plus, leurs travers et leur appétit du gain et du pouvoir.

Et, l’humanité risque de mériter encore longtemps les régimes politiques pervers qu’elle génère elle-même par sa faiblesse et son manque de courage et de volonté.