La crise économique de 1929 : Anatomie d'une catastrophe financière
de John Kenneth Galbraith

critiqué par Saule, le 12 juillet 2009
(Bruxelles - 58 ans)


La note:  étoiles
La grand crash!
Dans cet essai (titre original: "The great crash"), publié en 1956, Galbraith fait une chronique de "l'orgie spéculative" qui culmine à l'automne 1929, avant que la bulle n'éclate et amène dans son sillage une crise économique très grave qui va durer des années. Le livre fut publié en français suite au krach boursier de 1987, et l'éditeur a eu la bonne idée de le republier maintenant suite à la crise causée par les banques.

Ce livre est passionnant: c'est une période étonnante, avec des escrocs, des honnêtes gens, des imbéciles, et toute une partie de la population qui sombre dans un optimisme béat. Et puis Galbraith est non seulement un économiste de renom, il a aussi une plume superbe. Il manie l'humour et l'ironie comme nul autre (sa préface est une merveille d'humour), il met les choses en scène d'une manière extraordinairement pittoresque et vivante.

En fait la grande spéculation des années 1920 est très semblable à la spéculation folle sur les nouvelles technologie et l'éclatement de la bulle en 2002. Les mécanismes sont les mêmes, les instruments financiers aussi (achat et vente à découvert, instruments spéculatifs avec effet de levier,..), et la psychologie humaine n'a pas changé. Entre chaque krach, il y a un répit, le temps qu'une nouvelle génération qui n'a pas connu le krach précédant remplace l'autre.

La chronique de Galbraith est bourrée d'anecdotes amusantes. Il note par exemple que le rédacteur financier du Times avait averti avec une belle constance contre les excès, ce qui lui valait d'être considéré comme un incivique, mais ce qui lui vaudra aussi une petite gloire personnelle lorsque le krach arriva. Le Wall Street journal et beaucoup d'autres (des professeurs d'universités, les grands banquiers, les hommes politiques,..) se sont laissé prendre par le sentiment euphorique de l'époque. Pire, pendant toute la durée du krach (qui s'est étalé pendant des mois), ils continuaient à refuser d'y croire, en répétant de manière incantatoire "les affaires sont fondamentalement saines", et en annonçant une reprise prochaine. Ce qui fait que les gens en sont arrivés à tout perdre. Il y avait cette croyance irrationnelle dans le marché, dans sa perfection et pour tout dire dans son caractère sacré. Autre anecdote amusante, lors du krach, on dit que les grooms d'hôtels demandaient aux clients: "voulez-vous une chambre pour la nuit ou juste pour sauter?". Mais en réalité ces histoires de suicides sont des légendes. Dans le rayon anecdotes savoureuses, Galbraith raconte aussi comment Hoover (l'auteur du New Deal) a mis au point le mécanisme des "réunions sans objects" , ce qui est devenu un rituel dans la vie économique: il s'agit de mettre des gens importants dans une réunion, sans que rien de concret n'en sorte, mais pour donner l'effet d'une action (alors que durant toute cette période ils n'avaient aucune idée de ce qu'il fallait faire).

Savoir si le krach a causé la grande récession qui a suivie n'est pas évident. Il y a plusieurs facteurs économiques à l'origine de la récession. Trouver les responsabilités n'est pas facile non plus (à part la tendance irrationnelle à l'optimisme béat lorsqu'il s'agit de gagner de l'argent sans travailler), même si c'est un fait qu'il y a eu des escrocs et des malversations (exactement comme dans la crise actuelle, causée par les fameux crédits pourris) et que les grandes banques étaient partiellement responsables tout comme maintenant. D'un point de vue personnel, je suis toujours étonné quand on dit dans les journaux qu'une récession comme en 1929 n'arrivera plus, car les autorités ont appris la leçon et savent comme réagir: à lire Galbraith je crois plutôt qu'on fait de l'auto-suggestion car en réalité on n'a pas encore compris la cause de la récession.

En résumé, un petit livre passionnant et très bien écrit, sur une période très sombre de l'Amérique mais très intéressante aussi.