L'étreinte fugitive
de Daniel Mendelsohn

critiqué par Dirlandaise, le 2 juillet 2009
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
La quête d'identité d'un écrivain
Daniel Mendelsohn a écrit ce livre sept ans avant « Les Disparus ». Il nous raconte avec le ton intimiste et sincère qui est le sien, sa vie au sein de la communauté gay du quartier Chelsea de New York, ses nombreuses conquêtes masculines, ses passions, ses amitiés, ses trahisons et aussi sa quête du bonheur jamais pleinement satisfaite. Mais ce livre, qui se voulait au départ, un aperçu de ce qu’est la vie d’un homosexuel américain libre, cultivé et élitiste, déborde de ce cadre. En effet, Daniel Mendelsohn raconte aussi son enfance entre un père mathématicien, réaliste et à l’esprit pratique et une mère institutrice, rêveuse et mythomane. Il y a bien sûr aussi le fameux grand-père du côté maternel, un personnage auquel le petit Daniel voue une sorte de culte, et dont les histoires frappent l’imagination fertile de l’enfant et le marquent à jamais.

Daniel raconte aussi de quelle façon il en est venu à assumer le rôle du père de l’enfant de Rose, une amie mathématicienne elle aussi et qui recherchait une figure paternelle pour son fils qu’elle élève seule. Mais bien sûr, l’auteur ne peut s’empêcher de nous entretenir du passé de sa famille, et là, il est dans son élément je dirais. Il raconte les mythes et les histoires romanesques qui ont jalonné le parcours de sa famille maternelle d’une façon tout à fait passionnante. Suivre Daniel Mendelsohn dans une de ses enquêtes afin d’établir la vérité sur des histoires qu’il a entendues raconter par son grand-père ou d’autres membres de sa famille, c’est captivant. Car cet homme a plusieurs obsessions entre autres celle de rétablir la véracité des faits historiques au prix souvent de longues recherches ce qu’il fera d’ailleurs dans « Les Disparus ». Il a aussi une obsession marquée pour le passé et surtout, pour la mort. Mais avant tout, c’est la quête de sa propre identité qui est au cœur de ce récit magnifique et d’une touchante sincérité.

Un très beau livre écrit par un homme à la personnalité attachante et dont l’intérêt pour l’histoire de sa famille transparaît presque à chaque page qu’il écrit. Une écriture belle, raffinée, d’une délicate sophistication ajoute au plaisir de lire cet auteur à l’érudition certaine et dont la générosité m’a comblée. Je suis une lectrice admirative et éprise de cet écrivain dont j’attends le troisième livre avec grande impatience.

« Le fait d’être seul tout le temps m’avait rendu secret ; ça m’avait aussi rendu intelligent. »

« Dans ma génération, il n’y a pas un gay dont la première expérience de désir n’ait été une sorte d’affliction, qui nous a appris à associer l’attirance à la honte. Peu importe à quel point elle est ancienne, peu importe qu’elle ait été supplantée par d’autres amours plus heureuses, cette expérience primitive nous marque au fer rouge. »

« Quand votre histoire est marquée par une grande tragédie et des récits magnifiques, ne pas se tenir à l’écart, se laisser aller à être comme les autres, est ressenti comme une trahison. »
Premier volet d'une quête identitaire 9 étoiles

Juif américain dont la famille est originaire de Galicie, Daniel Mendelssohn a fait une entrée remarquée avec Les Disparus, prix Médicis étranger 2007, dans lequel il menait une sorte d’enquête sur la disparition d’un de ses grands oncles maternels et de toute sa famille. Enquête minutieusement racontée dans son cheminement, enquête qui l’a amené, écrit-il, à devenir « un touriste dans la souffrance des autres ». Mais il n’y avait pas que cela, dans ce livre, loin de là.

Et donc, comme il le dit dans la préface que j’ai recopiée ailleurs, Les disparus était le deuxième panneau d’un triptyque, L’étreinte fugitive étant le premier.
Le premier paru aux Etats-Unis, et hélas le deuxième en France. Hélas, car après le monument qu’était Les Disparus, on peut être amené à faire la fine bouche à la lecture de L’étreinte fugitive.

Et, pour moi, ce serait dommage. Car ce livre éclaire le projet littéraire qui est une quête d’identité. Et certains personnages!

L’histoire familiale est une part importante de notre identité. Mais il n’y a bien sûr pas que cela.

L’enfant Daniel Mendelsohn, né dans une famille juive américaine , qui un jour prend le miroir de sa mère , le tient derrière sa tête et voir s’ouvrir derrière lui un long couloir rempli de ses images à l’infini, qui est-il, et comment va-t-il se construire, lui qui aime tant les histoires racontées- et déformées- par son grand père? Très tôt il a compris que chacun de nous ne dit qu’une partie de l’histoire et que « nous sommes toujours deux choses en même temps ».

Ce jeune homme imprégné de culture juive va d’ailleurs se passionner pour la langue grecque , et c’est à partir de l’importance dans cette langue de deux particules de liaison , le Men et le De, d’un côté et de l’autre, qui structurent les phrases sans que l’on sache très bien si elles déterminent un rapport de cause à effet , de simple juxtaposition ou même d’opposition , qu’il va révéler sa dualité - ou plutôt multiplicité- identitaire.

Mendelsohn n’aime ni les catégories , ni les groupes d’appartenance strictes. Les Disparus n’est pas le livre d’un écrivain juif américain. Ou du moins, pas que cela. L’étreinte fugitive n’est pas celui d’un écrivain gay américain. Ou du moins pas que cela. S'il est vrai que l’homosexualité, la quête du désir et les rencontres avec des « garçons » ( à différencier des « hommes » par le contexte du « jeu » ) sont un des thèmes importants de ce livre, il y a aussi une longue réflexion sur la paternité , puisque Daniel Mendelsohn élève les fils d’une amie dans une banlieue new-yorkaise.
Ce que l’on fait de ce qui nous est donné, ce que l’on choisit de faire- si l’on croit à la possibilité d’un choix aussi minime soit-il.

C’est un bref résumé de ce livre , dont les thèmes abordés de manière successive sont régulièrement éclairés de pages se référant à la vraie spécialité de Daniel Mendelsohn, la culture grecque ancienne.

Un extrait , début d’un chapitre intitulé Mythologies, qui parle des frères ( les conflits entre frères ont eu une telle importance dans Les disparus!) , des compromis et des tragédies..

Personne n’a jamais écrit de tragédie sur Ismène, la sœur d’Antigone- celle qui conseillait la prudence, celle qui a survécu. Comment serait-ce possible? La tragédie aime les extrêmes Elle célèbre la beauté vertigineuse de la destruction totale.
Si la tragédie était, comme nous nous plaisons à le croire parfois, le théâtre de l’affrontement du Bien et du Mal, elle ne serait pas aussi captivante: la tension qu’elle suscite vient de quelque chose de beaucoup plus complexe et intéressant, qui est le conflit entre deux idées du Bien. L’Antigone de Sophocle, une pièce qui est à bien des égards la quintessence de la tragédie, s’achève sur l’enterrement prématuré d’une jeune fille qui, après avoir été condamnée à mort par son oncle, le roi, parle d’elle-même comme d’une épouse de la mort. La pièce suit la trajectoire désastreuse des enfants d’Œdipe, le roi de Thèbes au destin tragique, qui découvre avec horreur sa double nature- fils mari, frère-père, roi-bouc émissaire, sauveur-destructeur- dans une autre pièce de Sophocle , Œdipe roi. L’action d’Antigone se déroule le lendemain du jour où les deux fils d’Œdipe se sont entretués au cours d’une bataille pour remporter le trône thébain. Le héros d’Œdipe roi ne sait pas qui il est vraiment et passe toute la pièce à le découvrir avec horreur; l’héroïne d’Antigone sait exactement qui elle est - et à quel point sa destinée est effroyable, à quelle mythologie la destine sa désastreuse ascendance biologique- et, de façon assez perverse, mais inévitable au bout du compte, elle entreprend de le prouver au prix de sa propre vie.
Après qu’Œdipe a découvert son terrible secret, sa mère-épouse, Jocaste, se tue; comme nous le savons, Œdipe s’aveugle , se condamnant à une carrière, fréquente dans la mythologie grecque, de sage aveugle, d’homme dont la vision intérieure a été chèrement gagnée, au prix de ses yeux. Œdipe abandonne le trône que son intelligence lui a acquis , et s’exile. Ses d’accord pour alterner à la tête du royaume: chacun règnera un an et permettra à l’autre de lui succéder au bout de cette période. L’arrangement ne dure pas très longtemps, bien entendu, la rivalité entre frères- j’en sais quelque chose, moi qui ai trois frères, et mon grand-père en savait quelque chose aussi- étant ce qu’elle est…..


Ces pages ont été qualifiées de « pédantes » dans une émission du Masque et la plume, moi, je n’ai vraiment pas vu dans ce livre ce qu’il y avait de pédant , et j’attends avec impatience le troisième volet du triptyque écrit par cet écrivain qui met si bien en mots son identité parcellaire comme il le dit dans l’entretien joint:

http://lepoint.fr/actualites-chroniques/…

Paofaia - Moorea - - ans - 18 octobre 2013


Comment étreindre sa propre identité ? 9 étoiles

Roman dense, structuré en 5 chapitres qui suivent la pensée de Mendelsohn.
La première partie intitulée "Géographie" repose sur la description précise ( trop précise !) des quartiers qui ont marqué l'auteur, et propose une réflexion sur une notion grammaticale grecque "men-de" nécessaire pour expliquer le comportement de l'homme. La seconde partie intitulée "Multiplicté" évoque entre autre le regard porté par les gays sur la sexualité où la multiplicité des conquêtes est essentielle. "Paternité" relate un épisode qui a changé l'écrivain puisqu'il a endossé le rôle de père pour le fils d'une amie. "Mythologie" est le terme choisi par l'écrivain pour définir les diverses histoires de famille, qui sont sans cesse racontées, modifiées, exagérées jusqu'à devenir des mythes familiaux. "Identité" clôt le roman et interroge le lecteur sur ce qui nous définit.

Ce roman paraît centré sur le personnage de Mendelsohn, homme cultivé, parfois impudique, mais son analyse s'avère universelle. La section "Paternité" est touchante car tout père se reconnaît dans les réactions et les inquiétudes du personnage. De même, les anecdotes familiales et les secrets de famille ne sont pas l'apanage de Mendelsohn. Le roman, malgré lui sans doute, invite le lecteur à reconsidérer sa propre famille et à déchiffrer les faits passés pour mieux comprendre le présent.

De plus, ce roman n'est pas une simple accumulation d'épisodes personnels, ils sont sans cesse rattachés à des épisodes littéraires, surtout à des tragédies. La culture de l'auteur est un tremplin pour une analyse réfléchie du monde contemporain. Il n'a de cesse de tisser des liens entre sa famille ( sa lignée au sens racinien ) et les personnages mythologiques. A ces yeux, une vie tragique est belle et confère de la noblesse à l'histoire familiale. Combien cette pauvre tante, morte avant son mariage, vierge, est fascinante pour l'écrivain ?

Sartre affirme que nous sommes la somme de nos actes et que le regard des autres contribue à créer notre identité malgré nous ( "l'enfer, c'est les autres" évidemment ), pour Mendelsohn l'identité d'un individu dépend du lieu dans lequel il évolue, de sa sexualité et surtout de son héritage familial ( yeux bleus maternels, physionomie, traits de caractère ... ). L'homme ne se définit pas isolément.

Un roman fortement conseillé !

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 21 août 2011


"Men-De" 6 étoiles

Avant Les disparus (pas encore lu) D. Mendelsohn a produit L’étreinte fugitive qui fait figure de premier opus à ce qui devait être une trilogie. J’ai donc fait le choix de lire dans l’ordre.

J’ai découvert un moment autobiographique d’un érudit, helléniste tout particulièrement, qui évoque les questions de l’identité sous trois angles : l’identité sexuelle, le rapport d’un gay à l’enfant et bien sûr l’identité familiale qui constitue l’essentiel des Disparus.

Avec un certain détachement et une expertise quasi scientifique il évoque le rapport et les ressorts de la sexualité homosexuelle. Comment on se séduit, se consomme et se possède sans forcément devoir ou vouloir s’engager plus avant. C’est sur ce point de départ que Mendelsohn extrapole sur le rôle que joueront une femme et son enfant. L’auteur n’est pas le père de Nicolas mais fera et fait office de référent mâle et cette situation nouvelle et a priori inattendue pour le moins amène Mendelsohn a réfléchir l’identité en contrepoint de sa culture helléniste.

Autre moment essentiel, l’histoire familiale de juifs issus d’Europe de l’Est dont certains auront fait le choix volontaire ou forcé de l’émigration et d’autres non, qui laisse préfigurer l’attachement à la généalogie de l’écrivain.

Au final, l’écriture, les références et l’érudition de Mendelsohn sont plaisantes mais teintées sur le fond d’une certaine forme de narcissisme un peu étonnant d’un point de vue de la conviction.

Néanmoins c’est une pensée claire qui s’exprime avec talent et qui se lit rapidement et avec un certain délice.

Monito - - 51 ans - 21 septembre 2009