La terre qui meurt de René Bazin

La terre qui meurt de René Bazin

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Tistou, le 28 juin 2009 (Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (26 959ème position).
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Hymne au marais vendéen

C’est de passage en Vendée, dans le marais, qu’on m’a mis entre les mains ce roman, paru en 1898, qui rencontra apparemment par le passé un très vaste public, au point que René Bazin fut un temps considéré comme un des écrivains français les plus lus ( !). René Bazin, à ne pas confondre avec Hervé Bazin ; son petit-neveu.
Mélange de Giono, en plus crépusculaire (le marais vendéen n’est pas la Provence !), de Gènevois (la préface de l’édition que j’ai lue est de lui d’ailleurs), de Clavel, … René Bazin se détache néanmoins de ceux que je qualifie volontiers de romanciers du terroir tels Gilbert Bordes, Jean Anglade, …
Le marais vendéen est ici est un des acteurs principaux du roman, celui qui conditionne la vie de ses habitants (fin XIX ème rappelons-le), qui façonne leur psychologie, mais celui avec qui ils doivent compter aussi pour vivre, survivre plutôt. Mais le marais n’est pas tout et René Bazin ne s’y trompe pas. Peu de personnages dans le roman (à la réflexion ça ne me paraitrait pas aberrant qu’il puisse être adapté au théâtre, il le fût déjà deux fois à l’écran), mais des personnages forts, authentiques et sans complaisances.

« Il considérait de loin sa Fromentière. Entre les troncs des ormes, à plusieurs centaines de mètres au sud, le rose lavé des tuiles s’encadrait en émaux irréguliers. Le vent apportait le mugissement du bétail qui rentrait, l’odeur des étables, celle de la camomille et des fenouils qui foisonnaient dans l’aire. Toute l’image de sa ferme se levait pour moins que cela dans l’âme du métayer. En voyant la lueur dernière de son toit, dans le couchant du jour, il nomma les deux fils et les deux filles qu’abritait la maison … »
Giono vous dis-je …
« Quelques nuages glissaient vers l’Occident, arrière-garde d’une nappe plus étendue qui s’enfonçait au dessous de l’horizon.Ils formaient des îles transparentes, que séparaient des abîmes d’un bleu profond et plein d’étoiles. Le vent les poussait d’un même mouvement, vers les côtes prochaines. Avec la lenteur d’un vaisseau chargé, il emportait, vers la mer vivante, le baiser de la vie terrestre, le parfum et le tressaillement des végétations, les graines envolées , les germes mêlés de poussière qui tombaient ça et là en pluie mystérieuse, le cri d’innombrables bêtes qui n’ont guère d’autre témoin que lui et qui chantent dans les forêts de l’herbe. »
D’abord, il y a Lumineau , le métayer, le père, Toussaint Lumineau. Qui a cinq enfants ; trois fils et deux filles. Mais qui ne voit pas l’avenir sereinement pour autant. Pour lui dont l’horizon se borne au Marais, partir, ne serait-ce que s’éloigner, est inconcevable. Mais on a beau être au XIXème siècle, les mentalités évoluent et la terre du Marais n’est pas la plus riche qui soit. Et vivre chichement, quand le service militaire vous fait découvrir d’autres possibilités, n’a rien d’aussi évident.
C’est ainsi que Mathurin, le fils aîné, à l’avenir tout tracé à la ferme, s’est retrouvé infirme, frustré de ne pouvoir que constater l’activité des autres. Eléonore, en bonne fille soumise, a remplacé la mère, morte. François, nature faible et plutôt veule, « trahira » le Marais pour entrer aux Chemins de fer ». André, tout juste de retour de son service en Afrique, se sent incapable de se contenter d’une vie au Marais, il partira en Amérique, l’âme en berne. Ne reste que Rousille, la cadette, la plus vive, la plus jolie, la plus belle âme dira-t-on. Mais, problème : Rousille est une fille et elle aime un valet qui vient d’ailleurs (oh, pas trop loin, mais pas du Marais en tout cas).
Toute la chair du roman va être cette dissection du corps familial qui se décompose, d’un milieu rural aussi en voie de déstructuration, et d’affaires d’hommes et de femmes (dans le schéma directeur des affaires d’hommes et de femmes entre XIX ème et XX ème !).
C’est extrêmement bien écrit, crépusculaire – je l’ai déjà écrit mais c’est ce qui me reste en mémoire – et l’étude des caractères est parfaite. Ca ne vaut pas que pour des amoureux du Marais vendéen ! C’est un témoignage sur le début d’une évolution forcenée qui allait toucher nos campagnes et qui n’en finit plus de les vider, maintenant encore.

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Le marais vendéen n'existe pas ou alors je vois double

7 étoiles

Critique de JulesRomans (Nantes, Inscrit le 29 juillet 2012, 65 ans) - 1 février 2013

Dans les limites de la Vendée départementale, il y a au nord le marais breton et au sud le marais poitevin. Aucun espace géographique n'a pour nom le marais vendéen.

On distingue la Vendée départementale de la Vendée militaire, cette dernière est la zone insurgée du sud de la Loire qui couvre des parties de quatre départements (85;79,49 et 44).

Avec Bazin on est sur le marais breton, ce livre évoque la commune de Sallertaine et ses coutumes maraîchines ; pour le marais poitevin lire Ernest Pérochon, sinon contemporain de Bazin du moins né moins de trente après lui.

Si Bazin est imprégné d'un catholicisme traditionnel, Pérochon (d'origine protestante et ancien instituteur) est lui d'esprit laïc (avec une petite tendresse pour la Petite Eglise). Ils se rejoignent dans leur crainte de voir disparaître une bonne partie de la culture paysanne alors que la désertification de certaines campagnes s'amorce.

Des mauvaises langues diraient que c'était pour que les soldats de la République se perdent plus facilement (bref pour tromper l'ennemi) qu'on les a appelés ainsi. Mais ceci est une royale plaisanterie !

Elle vit encore.

7 étoiles

Critique de Hexagone (, Inscrit le 22 juillet 2006, 53 ans) - 31 octobre 2012

J'ai lu ce livre au format kindle qui est une solution agréable pour pouvoir lire des livres gratuitement et qui sont maintenant introuvables, c'est le cas de celui-ci.
Plusieurs choses m'ont amené à lire René Bazin qu'il y a quelques semaines je ne connaissais pas.
D'abord ma curiosité tournée vers les auteurs de la fin du 19 ème et du début du 20 ème.
Période très riche sur un plan littéraire durant laquelle, selon moi, tout a été dit et que les ouvrages postérieurs ne sont souvent que des redites modernisées. Il faudrait ouvrir un débat que le format du blog permet mal.
Seconde raison, c'est mon écoute attentive et zélée de Radio Courtoisie qui n'est pas recevable par les ondes dans nos contrées reculées, mais qui l'est devenue par le biais de l'internet et de ses magnifiques joujoux que sont les smartphones.
C'est au cours d'une émission que fut évoqué cet écrivain, il ne m'en fallait pas plus pour me procurer l'un de ses livres les plus célèbres, j'ignore si c'est le plus représentatif.
La terre qui meurt relate l'histoire d'une métairie vendéenne à une époque que je situe au début du siècle dernier, La Fromentière est la métairie du château qui la jouxte, comme souvent c'était le cas à l'époque.
Les deux familles se côtoient depuis des décennies et s'apprécient en se respectant.
Le père gère sa ferme avec rudesse et projette de la faire prospérer après sa mort en réalisant des unions maritales arrangeantes et arrangées pour fortifier et agrandir le domaine.
Le livre démarre sur les chapeaux de roues par le renvoi d'un valet de ferme qui a eu l'outrecuidance de s'amouracher de la fille du père.
L'amour chevillé au corps, le valet n'a pas dit son dernier mot.
Il y a le fils aîné qui attend la succession malgré son handicap. La soeur qui attend l'amour, et ce frère qui va rentrer d'Algérie avec des idées d'outremer plein la tête.
Les plans du père ne vont pas se réaliser comme espéré, La terre qui meurt c'est le livre de cet exode rural, de ses enfants que les lumières de la ville attirent, les emplois moins laborieux et mieux rémunérés, un destin qui n'est pas gravé dans les sillons de la charrue.
La terre qui meurt c'est le livre de cet univers paysan, parfois mesquin, où rien n'est plus important que le bout de terre grappillé après moult efforts, la fierté du travail de la terre, son amour à perpétuité. Ce boulet de la tradition attaché par la chaîne des habitudes et des moeurs qui ne passeront pas à la prochaine génération qui voit autrement.
Ce livre c'est celui de la rupture, pas fulgurante, pas révolutionnaire, une rupture en douceur, les prémices de ce grand chambardement qui n'arrivera que plus tard.

René Bazin est contemporain de Maupassant et Zola, on pourrait dire qu'il y a un peu de ces deux là dans ce livre, une analyse d'une époque au travers de ces gens mâtinée de poésie et de belles phrases, une belle découverte.

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