Mademoiselle Julie : Une tragédie naturaliste
de August Strindberg

critiqué par Dirlandaise, le 3 mars 2009
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
Quand la pluie lacère les fleurs d'automne...
Cette pièce de théâtre en un acte écrite en 1888 fait partie des œuvres écrites durant la période naturaliste de Strindberg. Elle met en scène trois personnages seulement dont un secondaire en la personne de la cuisinière Kristin. L’action se situe pendant la nuit de la St-Jean. Mademoiselle Julie est la fille d'un comte, maître du domaine. Elle vient tout juste de rompre ses fiançailles avec un jeune bailli et vit une période de grand trouble intérieur. Jean est le valet du comte. Il est intelligent, beau, a de l’ambition et désire se sortir de sa condition qu’il juge indigne de lui et de son talent. Il rêve de s’établir sur les bords du lac de Côme et d’y ouvrir une auberge qui le rendra riche. Mieux que cela, il éprouve le secret désir de parvenir à la noblesse et de devenir comte lui aussi à l’instar de celui dont il doit cirer les bottes. Donc, Mademoiselle Julie s’ennuie et elle jette son dévolu sur le beau Jean au cours de cette nuit de festivités. Ce qui devait arriver arrive et notre jeune écervelée se laisse séduire par son valet. Suite à sa conquête, Jean échafaude de grands projets d’avenir, il se voit déjà le gendre du comte et son ascension sociale assurée. Mademoiselle Julie découvre en lui un homme dur et calculateur alors qu’elle le voyait amoureux et tendre. De plus, elle s’est déshonorée et ne voit qu’une seule issue à sa situation intenable.

On retrouve dans cette pièce les thèmes majeurs de l’œuvre de Strindberg de l’époque à savoir le profond déséquilibre entre les classes sociales et le secours étriqué que la religion procure à ceux dont l’intelligence est assez limitée pour y avoir recours... Le personnage de Jean est solide, railleur, cynique et il juge les aristocrates d’une façon hautaine et arrogante. Au fond, il désire ardemment parvenir à être l’un des leurs. Il constate avec lucidité que les femmes comme Julie ne sont pas mieux que les femmes de son monde sinon pire. Rien ne l’ébranle et il est capable de survivre à tout. Pour Julie, c’est une autre histoire… Elle est fragile, compliquée, mutine, rêveuse, cherche l’amour à tout prix et ne trouve que déception et avilissement. Elle se brûle les ailes avec son beau Jean et cette histoire d’amour scellera son destin tragique.

Le contraste entre les deux caractères est remarquablement bien rendu par Strindberg. Ces deux êtres qui se rejoignent le temps d’une seule nuit sont aux antipodes l’un de l’autre. Ils jouent à se détruire, ils s’affrontent, se touchent, se séparent, se retouchent, s’unissent avec passion pour mieux se perdre au petit matin. C’est un jeu dangereux lourd de conséquences, pas tellement pour Jean mais surtout pour Julie qui se considère déshonorée sans espoir de rédemption. C’est l’histoire tragique de deux êtres qui se sont côtoyés toute leur vie sans jamais se rejoindre mais dont l’ultime rencontre fera d’eux des renégats, des coupables qui devront expier leur faute chacun selon sa véritable nature profonde. Excellent !

Le livre comporte une préface de Strindberg très instructive et intéressante sur la création et la mise en scène de cette pièce.

« Je ne frappe pas un être sans défense, et encore moins une femme. D’un côté, j’étais content de voir qu’on nous avait éblouis avec du toc, que le dos de l’épervier était aussi gris que le reste, que seule la poudre rendait la joue délicate, que les ongles manucurés étaient cernés de noir et que le mouchoir parfumé était sale… ! Mais d’un autre côté je souffre d’avoir désiré quelque chose de si peu élevé, de si peu solide ; je souffre de vous voir tomber si bas, bien plus bas qu’une cuisinière ; je souffre comme lorsque je vois la pluie lacérer les fleurs d’automne et les transformer en boue. »