Malone, tome 1 : Faux pas
de Michel Rio (Scénario), Pierpaolo Rovero (Dessin)

critiqué par Shelton, le 29 décembre 2008
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Du Michel Rio en bédé ?
C’est l’histoire d’un universitaire qui était passionné de bandes de dessinées. Comme à chaque fois qu’une telle situation se présente, le jeune étudiant, le chercheur, l’expert, se laisse aller à écrire sur son art narratif préféré. Les auteurs regardent avec méfiance celui qui ose parler d’eux mais qui ne fait pas partie du sérail. La sémiologie ne donne aucun droit à la parole sur les phylactères ! Non, mais…
Alors, Michel Rio, puisqu’il s’agit de lui, se consacre à la littérature. Oui, celle avec plein de pages couvertes de caractères pour dépeindre des personnages au fort caractère comme le commissaire Malone. Le succès est au rendez-vous et les lecteurs apprécient cette écriture vive, précise et qui offre un rythme presque parfait. Ses polars sont courts et pourtant il ose la méditation… Son commissaire est un personnage profond, qui pratique l’introspection comme Poirot la gymnastique neuronique et Holmes le raisonnement scientifique !
Mais Michel Rio ne s’arrête pas là. Son goût pour la Bretagne de ses ancêtres, lui donne envie de revisiter les légendes du Graal. Son Merlin, sa Morgane et son Arthur viennent démontrer que les romans arthuriens n’avaient pas cessé de hanter les auteurs et pouvaient encore surprendre leurs visiteurs…
Cet auteur de grand talent ne pouvait pas, à un moment, revenir à ses amours, non comme expert ou critique, mais comme auteur. C’est alors qu’il a décidé d’adapter, lui-même, du moins en tant que scénariste, les aventures, les enquêtes du commissaire Malone. C’est cette série qui commence aux éditions Casterman avec Pierpaolo Rovero au dessin !
Le dessinateur pouvant convenir à un tel scénariste ne pouvait qu’être un universitaire et c’est bien le cas ! Pierpaolo Rovero est un intellectuel, spécialiste en science de la communication de Turin ayant écrit, lui aussi sur la bande dessinée qu’il enseigne, par ailleurs, dans le cadre de missions humanitaires… Rovero est un fruit graphique de l’académie Disney de Milan ce qui ne signifie pas du tout qu’il va vous donner à lire du Pocahontas ou du Aladin. En fait il travaille depuis longtemps pour différents éditeurs et il trouve là, avec le scénario de Michel Rio, ce qui lui fallait : une histoire basique mais complexe, de l’action mais aussi de la réflexion, de l’amour et de la haine, et, surtout, des confrontations majeures entre des personnages capables d’engendrer la tragédie totale, celle qui parle à l’être humain universel…
Ce premier album, début de l’adaptation du roman « Faux pas », s’ouvre sur une série de trois pages sans aucun texte comme si l’écrivain se punissait de passer à la bédé… ou, comme si le spécialiste du neuvième art savait bien que la bande dessinée racontait une histoire avec du texte, certes, mais aussi avec un dessin, ici très fort, et une bande son, presque absente puisque nous accompagnons un tueur à gages venant prendre sa place en planque… alors qu’une voiture semble surveiller la façade de la maison objet de toute son attention…
Il n’est bien sûr pas question de vous dévoiler tout le scénario et vous couper toute envie de dévorer cette bande dessinée.
Nous allons, dans ce premier volet de cet épisode, coller aux basques du tueur. Un tueur atypique qui ne semble pas habité, seulement, par l’envie d’argent. Il est méditatif, calme, étrange, calculateur, scientifique devrait-on dire et quelque peu cynique, aussi…
Tuer ! Oh, il n’hésitera pas à le faire et plus d’une fois… Mais on finit par s’attacher à ce type mystérieux. On finirait presque par croire qu’il est le héros de cette histoire… quand, soudain, enfin serais-je tenté de dire, arrive le commissaire Malone. Le pauvre, dès son arrivée, est submergé par les questions insolubles, les énigmes invraisemblables, la complexité d’une série meurtrière comme il n’en a pas encore rencontré… Logique ! C’est sa première aventure…
Il s’agit donc d’une très belle bande dessinée, d’une grande qualité à la narration graphique littéraire, profonde et maitrisée. Rio et Rovero se sont bien trouvés et le lecteur ne peut que se réjouir de trouver chez son libraire préféré des ouvrages d’une telle qualité qui montrent bien que la bédé et la littérature classique sont bien faits pour participer à une même œuvre, celle de raconter de belles histoires !
Pour adultes, pour passionnés de polars, pour les foutraques de livres et autres fans de Michel Rio…
Oui, je suis emballé et je suis heureux de vous inviter à me rejoindre autour de ce « faux pas » qui n’en sera pas un !
Une restriction ? Oui ! Les couleurs de Fabio Paciulli ne sont pas à la hauteur du reste du travail…
Un tueur calculateur 8 étoiles

Comment ne pas faire le parallèle avec la série "Le Tueur" de Luc Jacamon et Matz, publiée également chez Casterman, dans la collection "ligne rouge" ? Même si le thème est différent, on ne peut que faire allusion à cette formidable série à la lecture de "Malone".

J'ai été vraiment bluffé par ce premier numéro de ce diptyque. Ce premier opus alterne sans cesse scènes bavardes (voire très bavardes), et scènes muettes.

Nous suivons le parcours d'un tueur cynique et froid, que l'aspect souvent silencieux de certaines pages, rend encore plus mystérieux.
Je déplore pourtant certains effets de style à la "matrix" (voir page 16 ) qui n'apportent rien à l'histoire et font plus sourire qu'autre chose, atténuant ainsi le côté spectaculaire de l'intrigue.

Le scénario de Michel Rio repose essentiellement sur le personnage du tueur (dont on ne connaît même pas le nom tout au long de cet épisode); élément assez paradoxal pour une série qui s'intitule "Malone", du nom du commissaire divisionnaire chargé de l'enquête, que l'on découvre seulement à la fin de l'album.

J'ai apprécié la maîtrise scénaristique mettant en évidence le sang froid de ce tueur, sans état d'âme et calculateur.

Convaincu par cette série, j'en conseille évidemment la lecture.

Hervé28 - Chartres - 54 ans - 1 novembre 2011


Un tueur philosophe 8 étoiles

Rarement une bande dessinée n'aura délivré une telle puissance introspective et réflexive. Si l'histoire (belle, mais assez conventionnelle) pourrait se résumer en un assez court paragraphe, il n'en ait pas de même des réflexions philosophiques du mystérieux tueur. C'est lui que nous suivons, c'est lui le personnage principal, non pas le commissaire Malone. On dirait, paradoxalement, que de par sa position extrême (celle d'enlever la vie) c'est lui qui arrive le mieux à objectiver de manière froide mais visiblement lucide l'humanité, son rapport au monde et la façon dont l'homme a d'interagir avec ses semblables en se fourvoyant dans des raisonnements subjectifs qu'il croit justes, alors qu'ils l'aveuglent.
Le découpage narratif et graphique consiste en une alternance entre des séquences chargées de textes avec d'autres qui en sont dépourvues. Les dessins sont très réalistes, dans la tonalité du scénario. Quant aux couleurs, pour ma part, ce panorama de gris, de noir, de brun ou de vert terne, me semble participer à la froideur du contexte : un tueur à gages froid, quasi insensible, qui évolue dans des sphères sordides. D'autant plus que ce tueur ne semble pas être très bien dans sa tête...

PPG - Strasbourg - 48 ans - 14 avril 2010