Comment les riches détruisent la planète
de Hervé Kempf

critiqué par Christian Adam, le 28 décembre 2008
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Deux brûlots pour servir à la résistance contre l'invasion néo-libérale...
Il suffit de promener un regard désabusé sur le paysage planétaire d'aujourd'hui pour se rendre compte que nous vivons à l'ère de la gravité durable. Les points de rupture achèvent d'être consommés sur tous les plans, et les seuils critiques semblent avoir été atteints dans la plupart des domaines ou sont sur le point de l'être (par exemple le pic de Hubbert pour le pétrole). Sur le plan environnemental d'abord, la crise écologique est carrément devenue insoutenable : les ressources naturelles se raréfient à une vitesse préoccupante ; le déchaînement des cataclysmes de plus en plus fréquents sèment une inquiétude croissante ; la biodiversité en péril fait dire aux uns et aux autres que nous approchons de ce qu'il est désormais convenu d'appeler « la sixième extinction » ; le réchauffement climatique accélère ses retombées non négligeables sur l'équilibre écosystémique ; bref, notre "empreinte écologique" encombrante a profondément défiguré la physionomie de la planète. Sur le plan social, le constat n'est pas plus reluisant : la disparité des revenus entre riches et pauvres, en creusant un abîme d'inégalités entre les deux classes, s'accroît scandaleusement à un point tel que les prétendues lois d'airain du marché, revêtant des allures d'évidence et de nécessité, font croire à un processus aveugle sans sujet, induisant par là même un certain fatalisme dans les mentalités. Pierre Bourdieu croyait que la "violence symbolique" du capitalisme a ceci de pernicieux que le néo-libéralisme qui le fonde politiquement « se présente sous les dehors de l'inévitabilité » (Contre-feux, Raisons d'agir, 1998, p.35). D'autre part, nous savons que l'idéologie progressiste de la "croissance" prônée hypocritement par les chantres de la mondialisation, sous prétexte que cette croissance finirait par combler l'écart entre "dominants" et "dominés", ne profite en réalité qu'aux plus nantis, reléguant ainsi les plus défavorisés dans les marges de l'Histoire, et les confinant à l'impuissance politique. Par ailleurs, dans l'état actuel des choses, tout se passe comme si la crise écologique et la crise sociale étaient indépendantes l'une de l'autre, comme si l'incidence effective de l'une sur l'autre n'avait pas encore été clairement appréhendée par les consciences. Pour l'instant, il est évident que c'est le paradigme économiste qui prévaut à l'échelle planétaire comme volonté et comme représentation. Mais dans la mesure où tout se comprend par référence à sa grille économique de la réalité, l'on comprend aisément pourquoi, comme l'écrit encore Bourdieu, « le programme néo-libéral tend globalement à favoriser la coupure entre l'économie et les réalités sociales » (Contre-feux, p.110).


C'est le mérite de deux pamphlets récents de montrer que les deux crises en question, sociale et écologique, sont au contraire interreliées, que l'on ne peut penser l'une sans renvoyer à l'autre, et que c'est en pointant l'ampleur des désastres qu'elles impliquent qu'il y aura espoir qu'un virage politique en faveur de l'écologique et du social s'amorce de manière authentique. Le premier livre dont il s'agit est celui d'Yves Paccalet, intitulé Sortie de secours (Arthaud, 2007), dans lequel l'auteur tente de dépister au préalable la maladie dont souffre notre civilisation pour ensuite envisager (comme l'indique le sous-titre du livre) quelques « solutions pour sauver l'humanité ». Paccalet dresse d'abord un diagnostic sans concessions du fléau qui nous ronge et qui nous entraîne aujourd'hui plus que jamais dans une fuite en avant avec les dérives consuméristes que l'on connaît. La critique que l'auteur formule est loin d'être inédite bien sûr, et le procès de la société de consommation entrepris ici n'est qu'une reprise de vieux griefs périodiquement adressés à l'aliénation et à la spirale matérialistes dans lesquelles s'enlisent de plus en plus nos sociétés. Mais la diatribe rééditée dans cet essai se fait plutôt sur le mode de l'agacement et de l'exaspération, où l'on entend l'ancien soixante-huitard qu'est Paccalet s'en prendre au « virus de la vulgarité » (Paccalet, op.cit., p.66) inoculé par « les cent mille produits de l'industrie qui nous crétinisent, [..] débilitent notre volonté et liquéfient notre morale » (id., p.66). Paccalet déplore en écologiste l'extension croissante du domaine du néo-libéralisme, relayé par un discours idéologique qui « nous rebat les oreilles avec les notions de croissance et de progrès » (id., p.70). Cette croissance, s'exclame t-il, est « une défécation collective qui transforme la Terre en un monstrueux tas de fumier » (id., p.90). Comment sortir alors de la « crise durable » ? Paccalet propose d'abord qu'à la débauche consumériste effrénée l'on oppose une « philosophie du peu », qui s'enracinerait dans une redéfinition et une réorientation de nos passions égoïstes, le vrai bonheur résidant, selon lui, « dans l'absence de nouveaux besoins » (id.,74). Ensuite, contre le délire productiviste, qui ne cesse d'aggraver l'équilibre écologique de la planète, il faut faire place à une « décroissance enchantée », administrer un processus de « liposuccion » (id., p.97) à nos sociétés obèses qui devront à l'avenir promouvoir pour leur propre maintien une véritable « régression durable » (id., p.112), autrement dit une croissance zéro. Finalement, la survie de notre planète ne sera assurée qu'à condition que soit institué ce que Paccalet nomme « les Etats-Unis du monde », c'est-à-dire l'utopie d'un gouvernement mondial, enfin devenu réalité, qui fasse office de force internationale capable de faire respecter les décisions collectives en plus de veiller à la préservation de la diversité culturelle, et au respect de l'environnement. Pour ce faire, il s'agit au premier chef de se mobiliser pour que tombe le règne des inégalités sociales en imposant des mesures draconiennes et intransigeantes, mais surtout pour que le spectacle des nantis étalant « leur luxe avec une vanité obscène » (id., p.92) suscite l'indignation générale.


Nous vivons sous la dictée d'une doxa insidieuse qui nous incite à nous vautrer dans la surconsommation et dans la dépense à tous crins qui seraient synonymes, à en croire le modèle dominant, d'une qualité de vie supérieure. Cette image de consommation ostentatoire nous est offerte en spectacle par la classe qui tient le haut du pavé sur le plan médiatique et économique, c'est-à-dire par la classe oligarchique. C'est en tout cas l'ambition du livre d'Hervé Kempf, titré Comment les riches détruisent la planète (2007), véritable mine d'informations faisant le point sur la disjonction entre la crise sociale et la crise écologique, que d'illustrer avec d'éloquents exemples à l'appui l'idée selon laquelle la croissance matérielle de cette classe accroît la dégradation environnementale. Le journaliste pointe du doigt le rôle de l'oligarchie prédatrice dans l'exacerbation de cette double crise, écologique par le dépérissement de l'état de la planète, et sociale par l'amplification de l'injustice à l'échelle mondiale. Cependant, face à ce modèle hégémonique, « on ne pourra pas, écrit Kempf, diminuer la consommation matérielle globale si les puissants ne sont pas abaissés et si l'inégalité n'est pas combattue » (Kempf, op.cit., p.10). Non seulement le comportement somptuaire des classes dirigeantes conduit à l'approfondissement de ces deux crises concomitantes, mais à l'imposition d'une idéologie qui s'entête à nous seriner que la solution à la crise sociale doit passer par la croissance de la production. Kempf s'élève contre ce mantra idéologique de la croissance qui n'est selon lui que la légitimation voilée des intérêts qui sont en jeu dans le statu quo, avant de plaider, à la suite de Paccalet, pour une « décroissance matérielle » (op.cit., p.90), en quoi les deux auteurs convergent sur les solutions. Une chose est sûre par contre, c'est que si des efforts collectifs ne sont pas déployés pour enrayer les deux crises qui nous affectent, les catastrophes sociales et écologiques continueront à s'étendre avec une envergure jamais rencontrée jusque-là par l'humanité, et l'on comprendra alors que cela était dû à un système en grande partie « piloté par une couche dominante qui n'a plus aujourd'hui d'autre ressort que l'avidité, d'autre idéal que le conservatisme, d'autre rêve que la technologie » (op.cit., p.9). Par conséquent, ce qu'il faut d'urgence, c'est de remettre les pendules à l'heure pour qu'une certaine volonté démocratique réaffirme le droit critique qui lui est consubstantiel, et qui lui permettrait de subvertir l'ordre établi. Seulement alors, écrit Kempf, « la démocratie devient antinomique avec les buts recherchés par l'oligarchie : elle favorise la contestation des privilèges indus, elle alimente la remise en cause des pouvoirs illégitimes, elle pousse à l'examen rationnel des décisions. » (op.cit., p.110-111). Pour cela, le masque justificateur sous lequel se déguisent les classes dominantes sous le couvert de ce que Bourdieu appelle une « sociodicée » triomphante, reposant sur un néo-darwinisme social indomptable à base de capitalisme sauvage, doit être arraché de gré ou de force pour être montré sous son vrai jour : à savoir une création politique, et non une nécessité historique, comme l'avaient cru les prophètes de la fin de l'Histoire. Comme si le mouvement de cette Histoire, propulsé toujours vers l'avant avec les méfaits latéraux que l'on connaît, s'effectuait sans agents qui en seraient responsables, et comme s'il devait absolument culminer dans les débordements insoutenables du néo-libéralisme actuel. Loin que celui-ci soit essentiellement inscrit dans la nature humaine comme voudraient nous le faire croire les partisans du néo-libéralisme au moyen d'une rhétorique perverse et auto-légitimatrice, un regard un tant soit peu critique ne manquerait pas, au contraire, à nous révéler l'ordre contingent qui sous-tend ce régime, contre lequel il faut se battre et « travailler à inventer et à construire un ordre social qui n'aurait pas pour seule loi la recherche de l'intérêt égoïste et la passion individuelle du profit » (Bourdieu, Contre-feux, p.119).


Ego lector ( Christian Adam )
Théorie intéressante mais manque de rigueur sur les références 8 étoiles

Hervé Kempf signe ici un titre assez provocateur mais avec un raisonnement très intéressant qui mérite d'être lu.

L'auteur avance que la planète terre court à sa perte à cause de problèmes sociaux. Tout d'abord, les pays à forte population tels que la Chine ou l'Inde commencent à consommer comme les Européens et les Américains. A terme, ce n'est pas viable d'un point de vue écologique. Mais comment le leur refuser en restant justes?

Ensuite, les inégalités sociales n'ont jamais été aussi fortes, que cela soit dans les inégalités de revenus entre les chefs d'entreprise et les employés ou bien dans l'ascension sociale. Ainsi, aujourd'hui, des employés ont moins de chance d'assurer un ascenseur social à leur descendance qu'autrefois.

Après avoir présenté ces problèmes sociologiques et écologiques, Hervé Kempf s'appuie sur la théorie d'un économiste américain : Thorstein Veblen. Elle se résume à peu près ainsi : chaque homme sur terre essaye de rivaliser avec la classe sociale juste au dessus de lui. Les classes largement au dessus sont ignorées ou admirées mais non remises en cause.

Or, le problème vient de ces classes les plus riches, elles n'ont aucun idéal valable, elles essayent simplement de se faire respecter de leurs pairs en essayant de devenir le plus riche possible. S'en suit alors une course à la consommation où les plus riches vont se procurer des produits de luxe pas forcément utiles. Les classes en dessous vont vouloir se hisser à leur niveau. Un effet domino s'opère alors où la consommation à outrance s'installe et où l'être humain tape alors dans les ressources de la planète Terre pour s'offrir cette consommation.
Malheureusement, on est arrivé aujourd'hui à un stade où les ressources se régénèrent moins vite que nous les consommons.

La théorie d'Hervé Kempf est très intéressante et me paraît plutôt juste. Je regrette néanmoins plusieurs points sur la solidité de ses arguments.

Tout d'abord, il avance des chiffres qui se contredisent. Ainsi, sur certains de ses chiffres, l'inégalité des revenus a augmenté tandis selon d'autres, elle a baissé.
Secundo, les références sont mises en tas à la fin du livre mais aucune référence n'est liée à un chiffre spécifique. Les références sont simplement entassées par chapitre.

J'ai trouvé ce procédé un peu limite car il interdit absolument toute vérification de ses données.

En conclusion, un livre très intéressant sur les dérives de l'homme et notamment des plus riches. Je déplorerai simplement ce manque de rigueur dans les données qui soutiennent les arguments.

Nabu - Paris - 38 ans - 7 octobre 2013


Désirs ostentatoires 9 étoiles

Il est quasiment impossible de soustraire à la nature humaine son sens inné de l'imitation. L'individu lambda a une propension à se conformer, entre autre, aux actes destructeurs de ceux qui stimulent son imaginaire de bonheur à travers l'opulence matérielle. Le désir ostentatoire de la distinction sociale s'écoule ainsi tout le long de la pyramide des classes sociales. Chacun aspirant à s'élever vers les couches supérieures. La compétition qui s'exerce au sein du clan très restreint de l'oligarchie afin de toujours occuper une place prédominante, devient une vitrine aguichante pour les classes populaires qui rêvent d'accéder coûte que coûte aux joies de la magnificence.

Crise économique et crise sociale sont les deux facettes indissociables d'un modèle de société à l'agonie. Le gouffre entre la minorité riche et la majorité pauvre ne fait que s'accentuer depuis plusieurs décennies, et ce malgré la promesse de "la main invisible" censée apporter le bien être à tous (durant les 25 dernières années, près de 10% de la valeur ajoutée a été transféré vers le capital au détriment des salaires).

La prédation insatiable de l'oligarchie qui dirige le monde (nos hommes politiques n'ont qu'à bien se tenir sinon c'est la damnation éternelle) provoque une mise en exploitation perpétuelle des ressources naturelles dont les plus défavorisés ne peuvent que sentir les effluves nauséabonds des rejets du productivisme.

Donc les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres, mais après tout n'est ce pas la marque évidente d'une structure sociale qui ne se reconnaît que dans la prédation ? Une exploitation sauvage des richesses naturelles et des êtres humains qui n'ont d'autres alternatives que de vendre leurs forces de travail à un système inique.

Et c'est là qu'intervient la réflexion de Thorstein Veblen qui, dès 1899, a su définir exactement ce qui caractérise la nature de toute chose dans l'activité humaine ; à savoir cette irrépressible nécessité de "rivaliser et de se comparer avec autrui pour le rabaisser […] Un des traits le plus indélébile de la nature humaine". Partant de là, une fois atteint les besoins nécessaires à une existence confortable, il s'est forgé un mode de vie ostentatoire et de gaspillage généralisé. Il constate que, au contraire de l'idéologie dominante, la production est suffisante et que les besoins ne sont pas infinis mais qu'ils sont stimulés par le jeu social. Il en résulte que "toute classe est mue par l'envie et rivalise avec la classe qui lui est immédiatement supérieure dans l'échelle sociale, alors qu'elle ne songe guère à se comparer à ses inférieures, ni à celles qui la surpassent de très loin".

Mais dans cette spirale infernale les gagnants sont les hyper-riches qui détiennent le contrôle sur cette structure féodale autour de laquelle gravite toute une nuée de représentants de la classe supérieure au service de ceux-ci. Pour les autres, ceux qui se situent dans les abîmes de ce système antidémocratique, ils ne peuvent que se lamenter et ressentir une profonde frustration en constatant que la corne d'abondance du capitaliste tant vanté ne leur offre que de maigres compensations.

La course à l'hyper consommation est dès lors lancée, une course qui n'a aucune limite si ce n'est la capacité des ressources naturelles qui se trouvent dilapidées sans souci du lendemain, entraînant une cascade de bouleversements écologiques qui forme un point de rupture irréversible pour la biosphère dont pourtant nous dépendons tous.

Les tenants de l'ordre économique actuel ne cessent de prétendre que la croissance est la seule solution pour réduire les inégalités et le nombre de chômeurs, alors que depuis les années 1980 il a été constaté par différents organismes officiels que rien de tout cela n'était exact. Au contraire les inégalités et le chômage n'ont fait que s'accentuer alors même que la croissance dans les pays développés était au rendez-vous. En même temps la production industrielle (source de cette sacro-sainte croissance) s'est accrue au point d'impacter de manière évidente l'environnement.

Nous sommes confrontés à un désordre mondial économique, social et écologique, et tout cela se trouve étroitement imbriqué. Il y a urgence à prendre un autre cap, afin de préserver ce qui peut l'être encore sur notre merveilleuse planète, écrin de toute les formes de vie, qui a su si bien accueillir nos ancêtres et qui, je l'espère, pourra encore longtemps accueillir nos enfants.

Heyrike - Eure - 56 ans - 21 novembre 2012


Du bon sens, s'il vous plaît! 8 étoiles

Avec (en version poche) près de cent vingt pages d'arguments incontestables et avec une vingtaine d'autres de références pertinentes (pour les plus sceptiques), Hervé Kempf nous livre la vérité que la « nomenklatura » minimise ou dissimule pour promouvoir ses intérêts. Il est vrai que l'ouvrage n'aborde que les angles les plus graves de la crise écologique et qu'il est vulgarisé à souhait, mais la démarche est légitime. Comment les riches détruisent la planète ne s'adresse pas qu'aux militants écologistes, mais à l'humanité tout entière car c'est elle-même qui est compromise dans cette problématique mondiale et c'est sa survie même qui est mise en jeu. Pour aborder ce livre, il ne s'agit donc pas d'être idéaliste, ni même idéologue, mais d'avoir un peu de bon sens.

Hastir Maxims - - 35 ans - 6 juillet 2009