Crack
de Tristan Jordis

critiqué par CC.RIDER, le 25 décembre 2008
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Les drogués ont la parole
Le crack est un mélange de cocaïne, de bicarbonate de soude et/ou d’ammoniaque qui se présente sous la forme de petits cailloux qu’il faut chauffer dans une pipe doseuse avant de fumer. Ses effets sont plus intenses, plus addictifs mais plus brefs que ceux de la cocaïne. La descente et le manque qui s’en suit n’en sont que pires. Sa consommation régulière peut provoquer des hallucinations et entraîner des comportements violents, paranoïaques ou suicidaires. Quand on sait que la dose (galette) s’échange pour 30 à 50 euros et qu’un toxico bien accro en fume jusqu’à 5 ou 6 par jour sans pouvoir exercer le moindre travail, on imagine quels trafics et quel niveau de prostitution sont liés à cette pratique…
Jeune journaliste frais émoulu de son école, Jordis souhaite réaliser un film sur ce milieu qu’il a déjà eu l’occasion d’aborder de loin en tant que consommateur régulier de shit. Et le voilà qui plonge, seul blanc parmi cette communauté majoritairement noire, dans le milieu des accros de la porte de la Chapelle à Paris. Il rencontre des personnages hauts en couleur (Souleymane, Saga, Ibou), pour la plupart originaires du Sénégal ou des Antilles qui ont commencé par dealer de la cocaïne avant de tomber dans le crack. Ils sont instables, peu fiables et souvent violents. Ils désirent même être payés pour être filmés, ce qui fausse totalement le jeu. Résultat : Jordis ne pourra jamais tourner son film ! Ni roman, ni thèse, ni véritable reportage, ce livre n’est que le compte-rendu brut de décoffrage d’une suite d’impressions, de rencontres, de déclarations plus ou moins hallucinées mais souvent lucides de drogués qui ne se font aucune illusion sur leurs chances de décrocher. L’auteur a passé une année entière avec eux et s’est senti très proche d’eux. La description du rôle des associations et des pouvoirs publics est révélatrice du désarroi d’une société qui ne sait que faire de ces êtres perdus pour lesquels l’auteur éprouve plus que de la sympathie. Un peu plus de distance n’aurait pas nui, mais il faut prendre ce bouquin pour ce qu’il est : un simple document, un instantané sur un fait de société inquiétant, à un instant T dans un lieu X. Le squat de la Chapelle est démantelé à la fin et les toxicos se voient relogés dans des hôtels où ils ne se plaisent pas. Le trafic reprendra ailleurs…
Immersion dans les coulisses de nos villes 8 étoiles

Paris. Porte de la Chapelle. ses squats, ses parkings miteux, passages souterrains incertains, ... Plongée dans l'horreur quotidienne de la drogue. Tristan Jordis présente les résultats bruts son enquête. Il s'est immergé, caméra au poing, dans ce monde de damnés soumis à la tyrannie du crack, lequel a détrôné l'héroïne au début des années 1990. Dans ce qui est devenu au final un roman, l'auteur se met lui-même en scène. Il nous plonge dans la moindre de ses interrogations. On le voit hésiter avant de s'engager dans les décors sordides de cette humanité à la dérive, affronter la méfiance, la susceptibilité, voire la violence de ceux qu'il aborde, pour peu à peu sombrer peu à peu dans un découragement devant la difficulté de cette enquête. Et, pourtant, Tristan Jordis dialogue avec empathie avec ses naufragés urbains. S’instaurent de véritables dialogues, où l’on apprend que leur univers s’assimile à la loi de la jungle. Il tente de leur faire confiance, mais remarque très vite que toute amitié est impossible avec de pareils toxicomanes. Pour eux, toute relation est intéressée par l’achat au final de ce crack qui les rend comme des zombies au milieu de la ville.
Reste de ce magnifique travail un témoignage utile pour comprendre les oubliés des coulisses de nos villes.

Nothingman - Marche-en- Famenne - 44 ans - 31 août 2010