Les Voyageurs de l'Eté
de Sylvaine Arrivé

critiqué par Feint, le 3 décembre 2008
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Si essentiellement écrivain...
Un premier roman chez un éditeur encore inconnu, un titre discret ; ces Voyageurs de l’été pourraient bien passer inaperçus… Et ce serait dommage, car il y a là de l’épaisseur, du feuilleté. Au soir de la vie, au moment de quitter son logement pour la maison de retraite, une femme très âgée regarde ce qu’elle laisse derrière elle, ces objets qu’elle se refuse à emporter, et tombe sur un petit livre à la couverture vert sombre, qui la ramène à une autre époque, l’époque d’un voyage d’été, en amoureux, à travers diverses régions de France ; un voyage au départ un peu hasardeux et qui, peu à peu, a pris sens. C’est aussi que ces amoureux-là avaient déjà toute une vie derrière eux : c’est la retraite de la narratrice et de celui qui jusque là n’était que son patient qui les a rapprochés. Toute une vie pour les deux, et pour lui aussi un amour ancien que, durant ce voyage d’été, au cours des intervalles entre les visites de fresques religieuses – danses macabres qui sont comme le décor symbolique où l’histoire essentielle a lieu –, au cours donc de ces intervalles de silence possible que sont les étapes en voiture, l’homme, au volant, silencieusement invité par sa compagne, dévoile peu à peu. Et c’est là qu’on se rend compte que le sujet du roman se joue dans un rapport aux mots : l’amour en question est celui d’une autre femme, devenue écrivain presque par hasard, croit-on, croit-elle d’abord, mais si essentiellement écrivain que l’emploi fautif d’un mot pour un autre dans la conversation la plus anodine la plonge dans des fureurs toujours plus violentes, contre lequel l’amour se trouve désarmé. La narration complexe, qui superpose les narrateurs, les différents niveaux de fiction – car Sylvaine Arrivé nous donne aussi à lire le livre retrouvé et dont le sens ne prend toute son épaisseur qu’a posteriori –, le questionnement de la représentation, tant pour les fresques médiévales que pour les œuvres d’un peintre moderne dont le parcours mystérieux offre un parallèle au récit principal, un jeu aussi sur les paronymies interrogeant discrètement la légitimité des places et des rôles endossés par chacun ; tout cela fait des Voyageurs de l’été un roman certes court, mais assez fascinant, non sans parentés avec L’Heure et l’ombre de Pierre Jourde, et aussi, différemment, avec L’ami Butler de Jérôme Lafargue – on peut dire aussi, simplement : une découverte.