Treize mille jours jours moins un
de Didier da Silva

critiqué par Feint, le 5 novembre 2008
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Une soixantaine de chips au paprika
En fait, il n’y a pas à dire, c’est quand même mieux de suivre les auteurs, plutôt que de n’en lire qu’un titre par-ci par-là (ce que je fais souvent quand même, parce que sinon, aussi, comment savoir ?)
De Didier Da Silva, j’avais déjà bien aimé Hoffmann à Tôkyô, paru l’an dernier chez Naïve ; un peu dépaysé tout de même par ce récit sans histoire, anodine odyssée toute en apesanteur dans un paysage estampillé japonais qui valut sans doute au livre quelques contresens : il n’y était guère plus question du Japon que du Mali chez Chevillard quand celui-ci écrivait Oreille rouge. Est-ce le retour dans un paysage moins exotique à mes yeux (quoique…) – puisque c’est Marseille qui remplace Tôkyô dans Treize mille jours moins un –, ou simplement le plaisir de la reconnaissance, ou même – n’ayons pas peur des mots – des retrouvailles avec un ton devenu familier : c’est sans réserve que je recommande la lecture de ce court récit, nouveau roman d’aventures sans aventures – voire : Sam joue du piano, se promène au hasard dans les parcs et par les rues, prend un bain de minuit, rentre chez lui, attend la pluie, s’endort, ressort le lendemain. Le drame tout de même est là, permanent, qui guette notre héros : sera-t-il victime d’une agression ? en tout cas les rochers sont coupants ; pour peu qu’on manque d’attention en sortant de l’eau, une blessure au pied peut vous gâcher la journée – sans parler de la fin tragique d’un poisson d’aquarium, d’un pied de tomate, d’une pédale de piano. Didier Da Silva ne s’en cache pas : les grandes aventures, les fresques épiques, les intrigues complexes, très peu pour lui ! Ce fatras-là, il est tout juste bon à hanter les cauchemars de Sam : « Ses cauchemars sont longs, compliqués, riches de rebondissements ; de vrais romans avec une intrigue, du suspense, une galerie de seconds rôles (l’horreur vraiment). La seule image qu’il garderait de celui-ci serait celle-là, dont l’incongruité le rendrait extrêmement perplexe : dans un moment de panique absolue (prise d’otages ou incendie, pas moyen de s’en souvenir), sa mère rangeant toute affaire cessante, dans les compartiments d’un lave-vaisselle, une soixantaine de chips au paprika. » (p. 49-50). C’est sans doute qu’il existe, aux yeux de l’auteur, une alternative à cette matière traditionnelle du roman qui, à force d’en (ab)user, se réduit de plus en plus souvent à une triste série de lieux communs de la fiction. Et chez Didier Da Silva, ce ne sont pas non plus les symboles qu’il faut chercher : s’il y en a, c’est pour mieux les vider du sens qu’on leur trouverait habituellement, quitte même – comme il arrive au bel arc-en-ciel final – à leur tourner le dos ; non, ce qu’il y a chez lui, c’est d’abord un ton, une sorte de couleur du son, maintenue par la force interne du style, comme dirait – à peu près – Flaubert ; la recherche quasi musicale du parfait équilibre, de la note parfaite, entre humour et humanité – puisque Sam, notre héros si peu héroïque, est aussi musicien ; et l’auteur (me rappelle soudain la quatrième de couverture de Hoffmann à Tôkyô) – aussi.
Un jour dans la vie de Sam 7 étoiles

« L’infini mis à part, le monde est trop grand pour Sam ; trop plein de choses et d’êtres et trop divers… ». En se promenant dans a ville, Marseille, qu’il aime mais qui le dégoûte, Sam butte sur les choses et les êtres et a du mal de se rencontrer lui-même. Il regarde tous ces petits objets sans importance qui constituent sa vie, son univers dans lequel il a du mal à trouver sa place, c’est du moins l’impression que j’ai eu en lisant ce petit récit en forme d’épure où seul le nécessaire figure et même, dans certains cas, est mis entre parenthèses.

Ce récit d’une journée de Sam, n’importe laquelle, une au hasard, montre un univers vide ou presque, sans relief, sans autre, avec seulement un chat et un piano pour meubler cette journée. Un piano qui lui sert de thérapie mais dont il voudrait tirer des sons parfaits, perfectionniste comme un Arturo Benedetti Michelangeli, mais bizarrement ce n’est pas la musique classique qu’il joue que j’ai entendue mais ces notes suspendues dans le vide que le Monk, Thelonious Monk, sait si bien distiller dans son jazz.

Sam a des difficultés avec sa conscience d’exister, « … il lui faudra - séance tenante - s’isoler, écouter le bruit de son souffle et se souvenir qui il est, ce qu’il est censé faire là. Là, sur terre. » La balade est donc, pour Sam, un moyen de se sentir vivre et d’éprouver la sensation de son corps, il arpente Marseille, de la mer à la Bonne Mère, comme un Nizon flânant dans Rome pour en sortir son Canto mais comme un Canto en creux où seules les choses laides et sales seraient décrites. Et, là où les critiques ont vu de la paix et du vide, moi j’ai senti une très forte tension intérieure qui n’est jamais exprimée mais qui bouillonne entre les lignes « … il se croit formaté pour capter les ondes négatives, celles qui rampent, stagnent, louvoient entre les êtres. » Et, à ce moment, j’ai pensé à la rage de Baudelaire dans « Le spleen de Paris », mais il faudrait que je relise cet ouvrage pour pouvoir trouver des convergences réelles.

En un jour, en quelques lignes, le monde Sam, la vie de Sam, notre monde, notre vie, une vie de solitude dans un monde sale, dépravé, dégénéré ! Mais peut-être un livre trop bien écrit pour exprimer la vacuité de la vie et la corruption de la matière. « Ca ne voulait rien dire et c’était reposant, de ne rien vouloir dire, de vouloir rien dire et dire rien. » Et, si le livre et la vie se résumaient dans cette phrase ?

Débézed - Besançon - 76 ans - 12 mars 2009


Les heures 8 étoiles

Treize mille jours dans une vie, environ 35 années. Didier da Silva ne les passe pas toutes en revue mais a choisi de se pencher sur un fragment, quelques heures dans la vie d'un homme, en été, à Marseille.
Pas d'événements palpitants ou de rebondissements à outrance, rien de tout cela. Le temps qui s'écoule, le quotidien de l'anodin, la vie de quelqu'un qui n'est ni antipathique ni attirant, juste un homme dans toute sa banalité.
Et pourtant, rien d'ennuyeux là-dedans. On y croise un chat, un poisson rouge, des amis pas vraiment amis, l'ennui, l'envie, le temps et puis Sam, notre héros qui n'est pas tout à fait un.
A force de vivre en compagnie de cet homme, de traverses ces heures si riches de riens, une certaine nonchalance finit par exister et envelopper le lecteur. Il se passe une alchimie curieuse qui nous fait entrer dans cet univers de torpeur, sans pour autant éliminer toute envie de se secouer.

Didier da Silva restitue avec justesse ce phénomène languissant de paresse. Il accorde également une certaine exceptionnalité à des événements infiniment petits, donnant ainsi beaucoup de poids à ceux-ci dans ce récit. Il suffit parfois de quelques mots, d'un trait acéré pour nous faire prendre conscience de toute l'importance d'un élément à côté duquel on serait immanquablement passé, sans l'auteur.

Sahkti - Genève - 49 ans - 18 février 2009