Un vrai roman : Mémoires
de Philippe Sollers

critiqué par Kinbote, le 3 novembre 2008
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Le cas Sollers
Sollers est-il le grantécrivain qu’il prétend être ? Ou sa réputation est-elle surfaite ? Il agace à force de répéter qu’il sera encore lu dans trente ou cent ans. C’est peu probable mais qui sait ? Sollers joue sur cette indécision, profite de l’ignorance crasse dont se réclame notre époque et certains écrivains pour provoquer le trouble. Il se félicite d’être édité chez Gallimard, notamment dans sa collection de poche (Folio), de posséder un bureau 5, rue Sébastien Bottin, de son amitié avec Antoine Gallimard. Quand on sait que Sollers n’a pas de diplôme universitaire et qu’il fut en quelque sorte un autodidacte formé sur le tas, on comprend mieux ses fanfaronnades un peu puériles.

Dans ce livre de mémoires, qui ne contient aucune révélation tapageuse sur sa sexualité (au contraire, celle-ci semble se limiter maintenant, l’âge oblige, au stade buccal), qu’il a mise en scène dans nombre de ses – faux – romans, mais, au contraire, l’affirmation de ses véritables amours : celui pour la bonne espagnole qui l’a initiée, celui pour Dominique Rolin, le grand amour de ses 20 ans, ou pour Julia Kristeva, sa femme, plus connue que lui aux States. Sollers, né Joyaux, fait surtout des mises au point, renvoie le lecteur à ses romans et autres livres. Il essaie de dissiper le malaise qu’il a lui-même installé par l’affichage de ses contradictions : maoïsme puis catholicisme, mises en avant de ses supposées frasques sexuelles et apparitions médiatiques nombreuses en même temps qu’un repli quasi monacal dans l’écriture, à l’île de Ré ou à Venise. On trouve aussi moins de déclarations énigmatiques et de citations que d’habitude (« Les citations sont utiles dans les périodes d’ignorance et de croyance obscurantistes », Guy Debord), et plus d’explications et … d‘humanité. Philippe Sollers sait ce qu’il devrait faire pour s’attirer la faveur d’un large public et de certains critiques : jouer la victime, faire étalage de ses misères, se plaindre de l’état du monde sans la contrepartie de la joie, du bonheur d’exister et de jouir.

Évidemment, privilège de l’écrivain, il montre ce qu’il veut bien montrer de lui. Il rapporte des écrits, des vues a posteriori prophétiques et on est forcé d’abonder dans son sens. Sollers aurait-il tout prévu ? Ainsi son portrait de Le Clézio (« Il y a un Beau, un Bon, un Vertueux exotique, Le Clézio, et un Méchant, moi ») - mis bizarrement en balance par un article publié récemment sur lui dans Le Monde : veut-il profiter de l’éclairage porté sur JMGLC pour se faire de la pub à bon compte ? Il rapporte son article de 1999 sur la France moisie ("et qui a bien mérité Sarkozy"), il rappelle son indifférence à la Méditerranée, à Mitterand (« un président littéraire ? il aime qu’on le croie même si ses goûts restent conventionnels : Chardonne ; etc. »), son rejet de l’axe Vichy-Moscou, de la littérature-pour-le-cinéma (voir l’extrait), de la littérature américaine à son avis surestimée (« quoi de neuf depuis trente ans ? ») et du Proche-Orient, son goût pour l’Italie, les Grecs et les Latins (« l’italien, en quittant le latin, fait vivre le grec »), le XVIIIème siècle français (il a contribué à ce que l’œuvre de Sade soit publiée dans la Pléiade) et la sagesse de la toute-puissante Chine ; tout fait farine à son moulin.

La lecture des livres de Sollers est stimulante et celle de ce livre-ci ne fait pas exception à la règle. Mais ce Vrai roman n’est pas un grand Sollers, il constitue une bonne entrée en matière pour qui ne connaîtrait pas l’homme ou bien pour ceux qui souhaitent en savoir plus. Philippe Sollers écrit beaucoup (trop ?), donc vite (« vite et bien : deux fois bien » est l’exergue du livre signée Gracian). Il a écrit ces Mémoires (hommage à St Simon) entre deux livres, bien content à la toute dernière ligne de se remettre à une nouvelle œuvre de fiction : « Et maintenant, roman », lance-t-il en guise d’au revoir.

Ce roman a reçu le Prix Saint Simon.

L’extrait :

La « poche d’ombre », disons-le, est le cinéma lui-même. Beaucoup trop de cinéma, pas assez de musique, d’accents, de mots. Le contemporain qui ouvre un roman veut assister à un film, il ferme vite un livre s’il tombe sur une digression qui ralentit l’action, en général déprimée ou violente. Or la littérature, la vie, la poésie, sont, par définition, infilmables, de même que la peinture n’a jamais été, et ne sera jamais une image. C’est pourquoi leur disparition programmée est en cours.
Regardez les écrivains d’aujourd’hui : ils veulent du cinéma, ils s’y précipitent, il y pensent déjà en écrivant, ils veulent faire des films avec leurs romans, et entrer ainsi dans la grande roue du Spectacle. Plus de gratuité, dans cette région, les budgets sont bouclés.
On se souvient de la consternation de Faulkner ou Fitzgerald à Hollywood, obligés de se censurer, de se simplifier, de se réécrire. Un écrivain qui se préoccupe de cinéma avoue par là même son absence de vision verbale, la seule qui compte et soit juste, puisqu’elle mêle tous les sens dans son déploiement.
L’énigmatique Sollers... ou pauvre Philippe. 6 étoiles

Je dois avouer que j'ignore encore si ce livre m'a plu. Il m'a fasciné cependant. Au point où je l'ai lu, et relu une seconde fois à peine la dernière page tournée. Ma première impression est toutefois demeurée. Ce mec marginal, et fier de l'être, a tartiné 350 pages pour expliquer en quoi il aurait dû être un "phare". Il résume pourtant, lui-même, tout son drame en ces quelques mots : "Je raconte, personne n’écoute".

De Philippe Sollers, Wikipédia dit : "Dans l'ensemble, Sollers est encore souvent plus connu pour son image médiatique, qui laisse apparaître son goût pour le jeu et la provocation, que pour son œuvre proprement dite qui reste assez peu lue et très méconnue" . Il rêvait d’être un grand philosophe, mais n’est même pas reconnu comme un grand littérateur. Tout son livre prétend à dire comme il s’en fout, pourtant ses mots brillamment ciselés à la hache disent le contraire. Alors que son livre se veut un monument à la grandeur de son rôle d'intellectuel, son propos, éminemment complaisant, ne trahit guère qu’une immense soif de reconnaissance. Il a vraiment été, à travers la revue Tel quel qu'il a fondé au début des années 60, un ardent défenseur d'auteurs et de penseurs méconnus ou controversés (Bataille, Derrida, Foucault, Barthes), mais sa propre prose comme sa pensée n'ont jamais eu un grand retentissement. Pourtant, ce mec sait écrire, houla ! Du grand art. Comme Stendhal, il prétend qu’on le lira dans le futur, il compte sur la mort pour enfin jouir de la réputation qu’il estime mériter. Il prétend son écriture destinée à "certains morts très vivants" et pour certains "pas encore vivants". Il tiens même impeccablement, dit-il, des archives qui lui assureront cette reconnaissance posthume.

Dans son bouquin, il comble son très relatif succès littéraire en s’accrochant à toute analyse positive à son égard. Il jette ainsi, à tous vents, plus d'une centaine de noms tirés du Gotha européen de l'esprit et de la plume. Certains parce qu'ils l'ont encensé ou qu'il estime particulièrement; d'autres parce qu'ils l’ont ignoré ou décrié, le jugement qu’il leur assène est d'ailleurs final et sans appel : ils sont petits et indignes de sa grandeur. En effet, à l’en croire, il n’y a peu d'âmes qui vivent en Hexagone qui ne l’aient détesté, honni, contesté, villidipendé, moqué, rabaissé, ridiculisé. Seulement, le combat auquel il réfère s'est déroulé dans une arène tellement privée, l'intelligencia parisienne dans toute sa quintessence, que peu en ont été réellement témoin. Chaque gaussement ou haussement (d’épaules) est tout de suite remarqué, apprécié, avant d’être, s’il est élogieux, accepté comme allant de soi ou, s’il est mauvais, rejeté impitoyablement ainsi que son auteur, son oeuvre et tous ses descendants. C'est probablement là le but de ce bouquin : remettre sur la place publique ses exploits héroïques de combattant social et intellectuel, rappeler tout ce que la société lui doit. "Mon homme, si personne ne s'en est aperçu, ce n'est pas bon signe " lui dirais-je.

Enfin, contrairement à ce qu’il prétend, écrire ses mémoires ne relève pas du romanesque intégral. Ce besoin d’en révéler certains aspects cachés, d’expliquer son génie incompris, d’étaler son érudition, de mettre en boîte ses détracteurs, de justifier son rôle littéraire, de récuser une image médiatique récolté par sa propre fatuité à croire qu'il pouvait en contrôler l'usage, de se positionner dans sa galerie personnelle de grands penseurs est profondément narcissique. Surtout lorsque mis en parallèle avec l’infinité et l’indicible complexité du monde comme il le fait. Lui qui dénoce la "peoplisation" de la littérature, de l’art et de la pensée, ne pêche-t-il pas gravement en jetant ainsi sa vie en pâture dans l’espoir d'un peu de reconnaissance ?

Son autobiographie, comme ses romans, est donc une oeuvre de fiction. Elle sert surtout à justifier son parcours d’écrivain et d’homme public. Certains passages de ce livre m’ont rappellé la blague de l’égocentrique et de l’ampoule où il suffit d’un seul égocentrique pour changer une ampoule, il la tient alors que le monde tourne autour de lui.

Ceci étant dit, je n'ai pas encore répondu de la fascination que ce bouquin a exercé sur moi. Je ne sais si c’est son propos ou sa façon de l’écrire, mais il ne me laisse pas indifférent, il me sollicite malgré moi dirait-on.

Alphabétix - - - ans - 16 décembre 2008