Les communions humaines : Pour en finir avec la religion
de Régis Debray

critiqué par Naturev, le 16 octobre 2008
(DOLE - 57 ans)


La note:  étoiles
On s'élève enfin dans le débat
J’ai vraiment apprécié la lecture de cet ouvrage. Je le dis d’emblée, la connaissance du sujet (ce qu’on nomme vulgairement les religions) par Régis Debray fait déjà de son livre un plaisir à lire, car on ne peut pas dire que cette connaissance soit partagée par le plus grand nombre en France. Plaisir à lire aussi, de par la clairvoyance de Régis Debray et l’esprit d’analyse dont il fait preuve, dépassant (et de quelles hauteurs) les slogans politiques dont on nous gave. Et enfin, plaisir aussi qu’un français se reconnaissant athée comprenne et respecte (à la façon d’un athée ce qui est tout à fait respectable) des personnes qui ne le sont pas : je parle donc d’une véritable ouverture d’esprit par la compréhension (et non d’une bande annonce pour une idéologie, une élection, une communion…). Qualité, ouverture, compréhension, connaissance approfondie : voilà les qualités de l’ouvrage.

Son défaut, la construction des phrases parfois peu simple et le choix de termes parfois peu accessibles. En effet, l’ouvrage étant tout de même fait pour être un récapitulatif de son travail en le mettant accessible à la plupart, ne peut être qu’hermétique à beaucoup. Je ne suis vraiment pas sûr qu’il soit à la portée de tous.

Je résumerai son contenu de la façon suivante : ce que l’on nomme communément la religion, bien à tort le plus souvent, si on la regarde d’après l’analyse de Régis Debray, ne répond fondamentalement qu’à des besoins qui permettent à l’homme de construire des sociétés humaines (des civilisations, états, etc.). Selon des processus de cristallisations, de communions, que l’on retrouve universellement dans le temps et la géographie dans toutes nos sociétés, également celles qui se réclament areligieuses, sécularisées ou laïques.

Mais n’ayez crainte, que vous soyez athée, agnostique, spirituellement animés, gens de religion et/ou croyants, vous y trouverez votre compte en terme de réflexion. Et que vous vous sentiez en accord ou non sur le fond, vous ne serez ni incompris ni touché dans votre ressenti de sincérité.
Religion: illusion ou nécessité? 10 étoiles

En un peu plus de 150 pages, Régis Debray tente de résumer 25 ans de réflexion d'un philosophe érudit sur le fait religieux. Il commence par essayer d'en donner une définition, partant de celle de Durkheim pour la corriger et la compléter par des observations tirées de la vie intellectuelle, philosophique et juridique.
Il en vient ainsi à contester le sens donné en Europe - et particulièrement en France - au vocable "religion". Celui-ci est compris comme l'adhésion individuelle et collective à une Révélation induisant immédiatement une acceptation de la Vérité. Ce sens est incompréhensible en particulier aux asiatiques, enclins à se promener en souplesse entre diverses adhésions. Il s'agit donc d'un sens propre à l'Occident, issu de toute l'histoire du monothéisme que l'Islam élargit en mêlant religion, droit, politique, coutumes et usages.
Et, en plus, ce qui a conféré à la religion catholique sa puissance, c'est son incorporation au pouvoir politique romain en 341 pour donner naissance à une autorité constituée pour réprimer les thèses et ceux qui divergeaient d'elle.
Etablissant que la religion est une nécessité pour l'homme, née de son incomplétude fondamentale, si forte qu'elle se poursuit à travers les siècles en dépit des horreurs engendrées par certaines de ses formes, Debray se rallie à l'idée que les hommes ont besoin pour vivre d'un dénominateur commun. Il préfère donner à celui-ci le nom de "communion". Il tente donc d'établir les règles (dedans-dehors, origine ou père de convention, filiation, hiérarchie, etc.) nécessaires à la construction d'une institution et à sa survie.
Il met ainsi en perspective à la fois les raisons qui conduisent au fait religieux et les mécanismes qui transforment le fait en institution ou ensemble de règles. Pour lui, cette nécessité de communion collective est un "invariant anthropologique" (p.155) que croyants et athées doivent prendre en compte pour comprendre le monde dans lequel ils vivent.
Ce livre couvre un large panorama des arguments - sans toutefois les épuiser - qui y mènent. C'est en cela que sa lecture attentive - les phrases sont souvent un peu difficiles - est d'une incroyable richesse, permettant à tout un chacun de se poser d'innombrables questions sur le fait religieux et ses manifestations.

Falgo - Lentilly - 84 ans - 27 octobre 2015